ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
La troisième journée d’Emy sur LMDM commença quand le soleil brûlant se leva sur l’Est de LMDM. Contrairement à ses craintes exprimées plus tôt, elle ne se perdit pas sur le chemin de la cuisine, et calma le fameux besoin instinctif de se nourrir, même sans qu’il y ait un besoin physiologique derrière, avec les restes des provisions du jour précédent ; il faudrait aller faire le plein très vite.
Tout en avalant les derniers biscuits, dont certains ressemblaient maintenant plus à des tas de miettes qu’autre chose, elle jeta un regard circulaire sur la cuisine. Sa cuisine. Une interface liée au Pad avait beau permettre de décorer chaque pièce meuble par meuble, elle avait préféré sélectionner un style prédéfini, ce qui lui avait évité un travail dont elle préférait se passer ; elle n’avait aucun goût pour la décoration dans la réalité, et la copie de son esprit n’y avait rien changé. Toute la maison était donc meublée dans le plus pur et le plus basique des styles occidentaux, dont elle avait l’habitude, et tant pis si ça jurait avec l’architecture de la maison.
Une fois restaurée, elle « enfila » la tenue de ville qu’elle avait à son arrivée sur le site, le microclimat de Thèmalin étant suffisamment clément pour ne pas nécessiter le port d’une tenue conçue pour affronter le désert, puis elle sortit. Avant de quitter le parc de sa propriété (parler d’un parc ou d’une propriété comme étant les siens avait quelque chose de particulièrement bizarre), elle fit un détour par les écuries, où le cheval offert par Mady, Tiago, avait lui aussi pris ses quartiers. Emy ne savait pas si les bots avaient besoin de manger, et elle lui servit une grosse portion d’avoine dans le doute, avant de partir à l’exploration de Thèmalin.
Toute la ville partageait apparemment le même climat et la même architecture : si Thèmalin n’était pas cohérent avec l’environnement extérieur, au moins l’était-il dans son environnement intérieur.
La première quête d’Emy était-celle du magasin. Enfin, s’il y en avait bien un, et elle l’espérait de tout cœur, car elle n’avait aucune envie de faire un trajet de plusieurs heures à cheval pour aller faire ses courses à Pseuno, à moins qu’il n’y ait un autre village plus proche. Heureusement pour elle, Thèmalin avait sa propre épicerie, qui vendait toutes sortes de produits alimentaires, si on pouvait en croire la devanture. Du reste, le bâtiment ne jurait pas avec le reste du village ; le style architectural était le même, mais il n’avait qu’un seul étage et était tout en longueur. Emy entra.
L’intérieur allait avec l’extérieur ; les étagères présentant les produits étaient en bois sombre, et des lampions étaient répartis un peu partout dans la pièce, diffusant une lumière tamisée. Visiblement, la lumière du dehors n’arrivait pas à filtrer à travers le papier épais qui composait une grande partie des murs. Derrière un comptoir, un bot à l’apparence on ne peut plus banale attendait, droit comme un piquet, sourire aux lèvres. Il la gratifia d’un « Bienvenue, mademoiselle ! » quand elle passa la porte.
Emy était pressée de découvrir le prix ridiculement faible des denrées, et celui-ci fut au-delà de ses espérances. En effet, le prix affiché pour chaque ingrédient ou plat préparé était le même : 0.
« Tout est gratuit ? demanda-t-elle au vendeur.
-En effet, mademoiselle, répondit-il. Le prix de 100% des produits en vente dans notre magasin est actuellement de 0 fragments.
-J’ai l’intention de faire de grosses réserves pour être tranquille un moment, ça pose problème ?
-Non, mademoiselle. Les stocks de 100% des produits en vente dans notre magasin sont actuellement infinis. 100% des produits en vente dans notre magasin ne sont pas périssables, et peuvent être conservés pendant une période de temps infinie.
-D’accord, dans ce cas, je vais voir ce que je prends. »
Emy parcourut d’abord les rayons et sélectionna toutes sortes de produits qu’elle aimait, en faisant attention à diversifier son choix pour ne pas se retrouver à manger sans arrêt les mêmes choses, et en se décidant à choisir plusieurs spécialités locales, apparemment toutes en rapport avec le Japon, comme des daïkons, pour s’essayer à de nouvelles saveurs. Tout en marchant dans les allées, elle se demandait quel était l’intérêt d’un vendeur si tout était gratuit et libre d’accès. Décidément, l’univers de LMDM manquait parfois de cohérence, et visiblement le plus souvent quand ça arrangeait l’administrateur ou les membres.
« La clé du bon fonctionnement du système d’Expérimentation de Réalités Multiples est la cohérence, avait un jour déclaré le professeur Shekhar Bachchan, un éminent scientifique Indien qui faisait partie des gens qui, bien qu’avouant que le système ERM était un énorme bond en avant, craignait ses éventuels effets secondaires. La cohérence au sein de l’univers, mais aussi celle avec notre réalité, sinon, les utilisateurs finiront par être déstabilisés, et par vouloir appliquer les principes des univers virtuels à notre réalité. Autorisez les enfants à voler dans le système ERM, et des enfants sauteront du haut des immeubles avant que nul ne puisse rien y faire. »
Emy, très pressée de s’adonner aux joies du système ERM à l’époque, avait considéré la chose avec mépris ; beaucoup de gens, scientifiques, mais aussi religieux et autres personnes qui n’y connaissaient absolument rien, avaient prédit le pire à propos du système ERM, et pour l’instant aucune de ces craintes ne s’était réalisée. Mais maintenant, Emy s’imaginait un enfant entrant dans une boutique et prenant des choses avant de partir sans même penser à les payer.
« Je deviens comme ces vieux paranos, se fustigea-t-elle. On disait pareil pour les jeux vidéo violents à l’époque… »
Après qu’elle eut finit de parcourir les rayons, le vendeur l’interpella pour lui présenter une sorte de borne plutôt discrète prêt du comptoir.
« Si vous n’avez pas trouvé le produit recherché en magasin, vous pouvez avoir accès à tous les produits disponibles sur LMDM depuis ce terminal », expliqua-t-il.
Quand Emy fut sûre d’avoir tout ce dont elle avait besoin pour au moins un mois, elle quitta le magasin est rentra chez elle et décida d’expérimenter le fonctionnement du système pour la nourriture comme le lui avait expliqué le vendeur avant son départ : elle se dirigea vers son frigo, dans la porte duquel était incrusté un autre écran, sélectionna un plat de pâtes assez simple, puis ouvrit la porte. Le plat apparu devant elle, chaud et prêt à être mangé. Le bot lui avait expliqué que ce système évitait de faire la cuisine à ceux qui considéraient ça comme une corvée, mais qu’il était tout à fait possible de cuisiner de façon traditionnelle. Tant mieux pour les autres, mais si Emy pouvait avoir accès à n’importe quel instant à n’importe quel nourriture sans efforts, elle n’allait pas se priver.
Ensuite, elle commença à réfléchir à un plan pour mener à bien la mission confiée par Scunindar. Elle n’avait pas un très bon pressentiment à propos de tout ça, essentiellement parce qu’elle avait l’impression qu’on lui révélait des choses de plus en plus désagréables, comme le fait qu’elle aurait peut-être à se servir d’armes, au fur et à mesure. Cependant, elle était bien décidée à ne pas se dégonfler, du moins tant que les choses n’iraient pas trop loin.
Vu ce qu’elle connaissait de la situation, elle ne pouvait pas espérer faire grand-chose seule de son côté, mais elle pouvait toujours apporter sa pierre à l’édifice en réunissant autant d’informations que possible de son côté. Scunindar lui avait demandé d’enquêter sur les bots disparus, et c’était précisément ce par quoi elle allait commencer.
Mady lui avait dit la veille que Thèmalin était peuplé de deux membres et d’une quarantaine de bots. En tant que village le plus à l’Est de LMDM, il avait sans doute subit des disparitions, mais restait encore à savoir combien exactement. Compter les bots un par un serait fastidieux, alors Emy décida d’aller interroger les deux membres, qui seraient probablement au courant. Mais encore fallait-il savoir où les trouver. Elle se promit de se mettre à leur recherche juste après le déjeuner.
Et elle n’eut même pas besoin de le faire. Vers 11 heures, on sonna à son portail. Persuadée qu’il s’agissait de Ouaneup ou de Mady, elle sortit. Devant la grille se trouvait un homme, qu’Emy n’avait jamais vu, et qui lui adressa un sourire engageant quand il la vit.
« Bonjour, je commençais à me demander si vous étiez chez vous.
-Bonjour, désolée, j’étais à l’autre bout de la maison. Je peux vous aider ?
-Je suis juste venu vous souhaiter la bienvenue. On dirait bien que nous sommes voisins à partir de maintenant.
-Vous êtes un des deux autres membres qui vivent ici, c’est ça ? demanda Emy en ouvrant le portail. Enchantée, moi, c’est Emy.
-Tout aussi enchanté, il faut dire qu’il n’y a pas grand monde dans les environs, ça fait plaisir de voir de nouvelles têtes. Vous pouvez m’appeler Clint.
-Clint ? D’accord… Vous voulez rentrer 5 minutes pour prendre un café ?
-Non merci, c’est très aimable à vous, mais je ne vais pas vous embêter trop longtemps. S’il vous faut quelque chose, n’hésitez pas.
-Merci bien… »
Le dénommé Clint paru prendre quelques secondes pour réfléchir, ce qui rappela à Emy que le responsable des disparitions se trouvait probablement dans cette région, et qu’elle l’avait peut-être en face d’elle. Celui-ci reprit finalement la parole :
« Bon, en fait, pour être honnête, je ne suis pas juste venu vous souhaiter la bienvenue, et vous pourriez peut-être m’aider. Je pourrai comprendre que vous refusiez, bien sûr…
-Dites toujours, répondit la nouvelle.
-Vous savez servir d’une arme ? »
Emy resta muette quelques secondes à son tour. Les gens sur ce site avaient l’air d’avoir un vrai problème avec les armes, ou alors elle avait été propulsée dans un monde bien plus hostile qu’elle ne l’avait cru.
« Oui, enfin, pas beaucoup, mais j’ai la base.
-Ah tant mieux. Dans ce cas-là, vous pouvez me suivre ? Je vous expliquerai tout en route, et si vous changez d’avis, pas de problème, surtout. »
Emy accepta, et quelques minutes plus tard elle suivait son nouveau voisin dans les rues presque désertes de Thèmalin.
« Bon, je vais essayer d’être concis. Comme vous avez l’air de le savoir, nous étions deux en temps normal à vivre dans ce village avant votre arrivée. Le problème, c’est votre nouvelle voisine.
-Ma nouvelle voisine ?
-C’est ça, et mon ancienne voisine, par conséquent, expliqua Clint, toujours avez le sourire. Elle s’est transformée en Onryō il y a quelques semaines. J’ai demandé un coup de main à l’administration, mais je n’ai jamais eu de réponse, et, pour couronner le tout, quand j’ai vu que Mady était là hier soir, le temps de sortir de chez moi, elle était déjà partie… J’aurai préféré éviter de vous impliquer, mais laisser traîner ça plus longtemps serait dangereux pour tout le monde, nous les premiers…
-Attendez une minute, notre voisine s’est transformée en quoi ?
-En Onryō. »
Devant le visage de la nouvelle habitante qui marquait l’incompréhension, Clint compris qu’il devrait expliquer les choses un peu mieux.
« Dans le système ERM, notre « nous » réel ne doit pas se reconnecter uniquement pour profiter des informations récoltées et des expériences vécues par son avatar, mais aussi pour « réagir » à ce qu’il a vécu, en quelque sorte. C’est un passage obligé, car on n’a pas encore réussi à rendre les avatars complètement indépendants, même si les copies des esprits sont très perfectionnées.
-Je sais tout ça, mais quel est le rapport ?
-Eh bien, quand une personne arrête de se reconnecter à son compte sur une longue période, en temps normal, on suspend son compte, ou on le supprime dans le pire des cas. Mais, quand on ne le fait pas, l’avatar ne reçoit plus de nouvelles instructions, et il finit par tourner en rond. Pour illustrer ça simplement, si notre avatar a attendu parler d’un endroit magnifique à visiter, et que ça intéresse notre « nous » réel quand il se reconnecte, notre avatar ressentira le besoin d’aller voir cet endroit. Bon, c’est simplifié au maximum, car les avatars ont suffisamment de libre arbitre pour décider de choses comme ça seuls la plupart du temps, mais si l’absence est vraiment très longue…
-Bon, écoutez, c’est pas pour vous vexer, mais on pourrait pas abréger un peu ? Je n’ai toujours pas la moindre idée de ce qu’est un Onryō.
-On dirait plutôt une Onryō, en l’occurrence. C’est à la base le nom donné par les japonais à des esprits vengeurs. Quand le membre ne se reconnecte plus pendant longtemps, son avatar commence à répéter encore et encore le même type d’actions. Dans le cas qui nous intéresse, la membre qui vivait ici autrefois attaque tous ceux qui s’aventurent sur sa propriété. Enfin, pour l’instant. Pour être honnête, je dors moins bien la nuit depuis que je sais qu’elle pourrait venir m’égorger dans ma chambre. »
La phrase avait été prononcée avec un son imperturbable sourire. Emy réfléchit un moment, un tas de questions se bousculaient dans sa tête, elle choisit la plus logique :
« C’est courant, les Onryō, ici ? Sur Le Monde de Mario, je veux dire.
-Absolument pas, vu que c’est moi qui ait décidé de l’appeler comme ça, comme c’était en accord avec l’ambiance du village. En temps normal, on parle de « membre fantôme ». Et, le plus souvent, ils n’attaquent pas les gens.
-Et c’était quel genre de membre ?
-Une jeune femme qui se faisait appeler Izanami, comme la déesse de la mort de la mythologie japonaise. Comme quoi, le destin peut jouer des sacrés tours… Elle était vraiment mordue d’animation japonaise, surtout des films de Miyazaki. C’est en partie pour lui faire plaisir que Phil a donné cette apparence à Thèmalin, c’était pas plus mal d’ailleurs, le côté « village mexicain perdu au milieu du désert » était devenu vite lassant.
-Donc vous viviez déjà ici avant que ce village devienne une sorte d’anomalie spatiale ?
-En effet, et, bots mis à part, j’y vivais seul d’ailleurs.
-Vous ne sentiez pas le besoin de vivre près d’autres gens?
-Il y a longtemps que j’ai décidé de prendre de la distance, ça ne m’a jamais posé problème. Ah, d’ailleurs, on arrive. »
Ils étaient maintenant devant la plus grande résidence du village, et de loin. Le bâtiment avait trois étages, et était entouré d’un immense jardin planté d’arbres majestueux. La grille était fermée. Clint dégaina un revolver et l’invita d’un geste de la tête à en faire de même. Elle s’exécuta, sentant un mélange d’excitation et de peur monter en elle. Elle avait l’impression d’être sur le point de donner l’assaut à la maison comme dans les séries policières qu’elle regardait parfois.
Clint poussa la grille qui s’ouvrit doucement. Ils se retrouvèrent à marcher sur une allée de gravillons blancs, qui crissaient sous leurs pas. Le jardin semblait parfaitement entretenu, mais ça ne voulait rien dire, car la végétation ne poussait pas forcément comme dans la réalité dans le système ERM. Ils passèrent à proximité d’un jardin zen au milieu duquel coulait une fontaine au son apaisant. Rien ne laissait croire qu’une sorte de monstre vivait ici. Emy réfléchissait à la situation, car les évènements semblaient s’enchaîner de plus en plus vite.
« Vous disiez que les membres fantômes répètent encore et encore la dernière chose que leur version réelle voulait faire. Mais cette Izanami n’avait pas l’air d’être du genre à attaquer les gens, je me trompe ?
-C’est exact. En fait, Izanami a été une membre fantôme tout à fait calme pendant plusieurs semaines. Elle a commencé à être agressive il y a un peu plus de deux semaines…
-Bon, je vois. Et c’est quoi le plan ? Elle a beau avoir pété les plombs, ça reste une membre, et elle est donc immortelle, non ?
-On ne peut pas la tuer, mais on peut la neutraliser suffisamment longtemps pour la mettre dans un train pour la capitale. Une fois qu’ils l’auront sous le nez, ils seront bien obligés de s’en occuper. »
Emy hocha la tête, vérifia que la sécurité de son arme était bien enlevée, puis Clint porta sa main vers la poignée de la porte d’entrée coulissante. Elle glissa dans un chuintement, s’ouvrant sur les ténèbres à l’intérieur. Ils entrèrent.
Bien qu’il n’y avait pas la moindre trace de poussière sur le sol ou les quelques meubles de l’entrée, système ERM oblige, on pouvait clairement sentir que l’endroit était à l’abandon depuis un moment. On pouvait difficilement voir à plus de quelques mètres, tant le noir était opaque, ce qui ne paraissait pas du tout naturel à l’enquêtrice amatrice, surtout en plein jour dans une maison aux murs de papier.
« On devrait commencer par sa chambre, chuchota Clint. Heureusement pour nous, je suis venu plusieurs fois à l’époque où elle était encore parmi nous. On doit monter au premier étage et prendre à droite, et ça doit être par là. Maintenant, plus un mot, on doit jouer sur l’effet de surprise. »
Il enchaîna avec un signe de la main en direction de la porte devant eux, et ils commencèrent à marcher, un pas après l’autre, faisant grincer le plancher à chaque pas. Beaucoup trop fort au goût de l’infiltrée, qui avait l’impression de faire autant de bruit qu’un orchestre en plein récital à chaque fois qu’elle mettait un pied devant l’autre.
De part et d’autre du couloir, des portes donnaient sur des pièces à vivre, comme un salon ou une salle à manger, le tout meublé dans le plus pur style japonais, avec des coussins en guise de chaises par exemple, qui étaient parfaitement ordonnée, mais sans vie, comme des pièces d’exposition dans un magasin de meubles.
Mis à part le bruit de leur propre progression, le silence était seulement troublé par le bruit du vent qui faisait doucement trembler les cloisons en papier. Cela rendait l’ambiance oppressante au point que l’envie de s’enfuir à toutes jambes la gagna rapidement. Seul élément rassurant, Clint qui, à côté d’elle, continuait d’afficher un sourire inébranlable tout en jetant des regards vaguement intéressés autour de lui, comme s’il visitait une simple maison hantée de fête foraine. Ils arrivèrent finalement dans un vaste hall où un escalier en bois montait vers les étages supérieurs. L’ombre était toujours aussi dense.
Et tout d’un coup, un grincement venant de l’étage se fit attendre. Emy s’immobilisa, paralysée par la peur, tandis que son compagnon levait les yeux vers le sommet de l’escalier, plongé dans la pénombre. Ils restèrent immobiles et silencieux pendant plus d’une minute, la respiration haletante, les sens aux aguets.
En un instant, un visage d’un blanc diaphane, presque translucide, apparut à quelques centimètres à gauche de celui de la jeune femme. Elle se retourna et plongea quasiment en arrière, tout en vidant le chargeur de son arme à l’endroit où le visage se trouvait quelques secondes auparavant. L’écho des coups de feu résonna encore un instant dans le vaste édifice.
« Là, il y avait un… Un…
-Du calme, du calme, d’accord ? Recharge. Ça devait être elle. Elle sait qu’on est là, maintenant.
-Comment elle a pu disparaître comme ça ? C’est une membre comme les autres, non ? Pas vrai ?
-Normalement… »
Il fut interrompu par un nouveau grincement, qui semblait cette fois venir de partout à la fois, suivi d’une respiration rauque qui leur glaça le sang.
« On devrait demander du renfort, non ? demanda Emy, la voix rendue un peu plus aigüe par la peur.
-Trop tard pour faire marche arrière, répondit Clint, qui ne paraissait pas en mener large non plus. Elle risquerait de nous poursuivre dehors. »
Il pris une grande bouffée d’air et cria : « Izanami, sort de là, ça a assez duré ! »
Il n’eut pendant un instant que le silence pour toute réponse.
L’apparition de leur cible fut tellement soudaine et silencieuse qu’ils faillirent ne même pas l’apercevoir. Elle était debout devant l’escalier, non dénuée de grâce, notamment grâce à son yukata rouge à motif floral jaune. Sa peau était décidément d’une blancheur absolue, ce qui contrastait avec ses profonds yeux noirs et ses longs cheveux châtains clair. Elle pointa l’index vers Clint, et prononça d’une voix glacée :
« Vous devez payer.
-Payer, payer pour quoi ? lança Emy d’une voix anxieuse.
-Vous… n’avez… rien… à faire… ici », répondit-elle.
Elle fondit droit vers son voisin qu’elle projeta au sol, et tous deux roulèrent sur plusieurs mètres avant de percuter un mur. Emy pointa son arme dans sa direction, tremblant comme une feuille et incapable de viser correctement. Le bruit assourdissant et les déflagrations de plusieurs tirs témoignèrent de la réplique de Clint, mais elle ne porta visiblement pas ses fruits, car l’Onryō se redressa et disparut dans l’ombre en un instant, ne laissant derrière elle que le silence lourd comme une chape de plomb, troublé par la respiration haletante du jeune homme. Celui-ci se releva péniblement, tout en essuyant un mince filet de sang qui coulait le long de son menton depuis sa bouche. Malgré tout, il arborait à nouveau un léger sourire.
« C’est encore pire que ce que je croyais, déclara-t-il. Il va falloir en finir vite ou elle nous aura à l’usure. »
Il remarqua alors qu’Emy avait blanchi.
« Tu… Tu saignes », fit-elle remarquer d’une voix tremblante.
Il se pencha vers son ventre, constatant la présence de larges marques de griffes à l’endroit où l’avait percutée son ancienne voisine. La douleur commença à se faire sentir à cet instant.
« On dirait bien, oui. Elle peut faire apparaître des griffes apparemment, soyez prudente.
-C’est normal tout ça ? demanda la nouvelle, complètement désorientée. Qu’elle puisse disparaître comme ça et se faire pousser des griffes… Et tout ça…
-Pas vraiment, non. Raison de plus pour l’arrêter au plus vite. »
Il avança vers le centre de la pièce où il se tenait avant la charge, et se plaça dos à dos avec son acolyte, puis il s’écria :
« Sors de là et finissons-en, compris Izanami ? »
Ils entendirent alors un craquement sourd qui semblait venir de toute la maison, puis le sol se déroba sous leurs pieds, comme s’il essayait de les avaler. Ils chutèrent, puis tombèrent lourdement sur un sol dur et plutôt froid, qu’Emy identifia comme étant de la terre.
« La cave », annonça son compagnon en se relevant péniblement, le bras gauche crispé sur son ventre blessé.
L’endroit paraissait encore plus sombre et froid que le reste de la bâtisse, son sol était bel et bien composé de terre battue, tandis que les murs étaient en grosses planches de bois sombre. L’ameublement se composait uniquement d’étagère et de jarres destinées au stockage de denrées. Clint fit apparaître son Pad qui diffusa une lumière bleutée sur son visage, et bientôt une lampe de poche apparut dans sa main, suivie de près pas une sort de boule en verre à l’intérieur de laquelle semblait voler un nuage bleu qui tournoyait sans arrêt. Le vétéran la brisa, les débris de verre disparurent instantanément et une lumière bleue commença à tournoyer autour de lui, avant de se concentrer autour de son ventre, et la blessure cicatrisa instantanément.
« Tu n’as pas été touchée ? demanda-t-il. Je dois avoir des boules de soin en rab.
-Non, ça va… Mais je donnerai cher pour être n’importe où ailleurs…
-T’inquiètes, on va sûrement voir débarquer Mady ou un modo si tu disparais pendant trop longtemps…
-Comment vous pouvez en être aussi sûr ? Vous avez dit qu’ils n’avaient pas bougé le petit doigt quand cette fille avait pété les plombs…
-Oui, mais toi, tu n’étais pas là.
-Et quelle différence ça fait ?
-Je suppose que Phil ne serait pas particulièrement heureux en apprenant que sa nouvelle recrue a disparu dans la baraque d’une membre devenue folle à lier.
-Comment vous savez…
-Je suis membre de LMDM depuis très longtemps maintenant, Emy. Quand je vois Mady se donner la peine d’accompagner une parfaite inconnue dans son nouveau village, alors qu’elle se tient même à bonne distance des anciens membres la plupart du temps, je me doute que ce n’est pas par simple courtoisie. À plus forte raison quand ce nouveau village se trouve au beau milieu d’une zone touchée par quelque chose d’aussi grave que des disparitions de bots en masse.
-Vous savez quelque chose là-dessus ?
-Quelques trucs, mais je vous parlerai de tout ça quand nous ne serons plus coincés dans cet endroit avec le fantôme vengeur de mon ancienne voisine. D’accord ?
-D’accord. »
Emy sentit une certaine excitation la gagner. Malgré la situation peu enviable dans laquelle elle se trouvait, elle avait peut-être déjà des résultats pour son enquête. Clint avait sûrement raison, en plus : ils ne tarderaient sûrement pas à voir Ouaneup débarquer pour les aider. En tant que modératrice, elle devait avoir tout un tas de trucs pour venir à bout des membres récalcitrants d’un claquement de doigts.
« Bon, lança-t-elle, revigorée. Elle a beau être bizarre, ça reste une membre comme les autres, donc si on lui colle une balle en plein buffet, c’est game over pour elle, exact ?
-Normalement, oui, convint l’ancien. Mais un membre normal n’est pas censé pouvoir transformer ses mains en griffes.
-Bon, j’ai compris. Dans ce cas, autant s’en assurer. On remonte ?
-C’est d’accord, mais si les choses tournent mal, tu devras courir vers la sortie aussi vite que tu le pourras, c’est bien compris ?
-Compris, répondit Emy, déterminée. Et si j’arrive à m’en tirer, j’irai chercher du secours aussi vite que possible.
-Ok, faisons comme ça. »
Il se leva, vérifia rapidement que son arme était bien chargée, puis se dirigea vers l’escalier en bois grinçant qui menait vers la porte de la cave, suivit de près par la jeune femme. Il posa la main sur la poignée, l’ouvrit à toute volée tout en pointant son arme dans toutes les directions, pour constater qu’ils avaient débarqué dans un couloir qui menait droit vers le grand hall de l’escalier d’où ils étaient tombés.
« C’est fini la rigolade, Izanami ! lança Clint d’un ton impérieux, une nouvelle fois. Viens nous affronter une bonne fois pour toute ! »
Répondant à son appel, la quasi-spectre apparut dans la lumière de sa lampe, devant eux, bras le longs du corps, cheveux cascadant sur son visage, ne laissant voir qu’un œil qui les fixait froidement. Ils pointèrent leurs armes dans sa direction, mais avant même qu’ils n’aient pu appuyer sur la gâchette, elle fondit sur eux avec une vitesse surhumaine, plongea sur Clint et le renversa pour la deuxième fois. Sa lampe heurta le sol dans un bruit sourd et n’éclaira plus que les murs vers lequel elle était pointée. Les bruits de lutte emplirent l’espace, et Clint hurla :
« Cours Emy ! Cours ! »
Elle s’exécuta, déterminée à atteindre la sortie pour aller chercher de l’aide. De toute façon, Clint ne pouvait pas mourir. Une fois dans le hall d’entrée, elle bifurqua vers le couloir menant à l’entrée. Bientôt, la porte apparut devant elle, comme irradiée de la lumière extérieure. Mais, alors que la délivrance n’était plus qu’à quelques mètres, elle sentit ses jambes se bloquer, et elle s’étala de tout son long sur le sol. Elle entendit à son oreille une voix désormais connue lui murmurer : « Tu crois vraiment que tu peux t’en tirer aussi facilement ? », et sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque.
Elle essaya de mettre sa main sur son arme, qui avait glissé à plusieurs mètres, mais ses bras semblaient collés le long de son corps, comme si une force invisible la serrait de toutes ses forces. Alors que la panique commençait définitivement à la gagner, elle entendit un éclat de rire, qui n’avait rien de lugubre ou de morbide.
« Si tu voyais ta tête ! s’amusa l’Onryō qui arborait un large sourire, et qui venait d’apparaitre à califourchon au-dessus d’elle. Je n’aurai jamais cru que tu marcherais à ce point !
-Laisse-la partir, Iza, conseilla derrière elle la voix familière de Clint. Elle a eu plus que son compte.
-Je veux, répondit « Iza » en se levant. Elle est morte de trouille ! »
Clint arriva dans l’entrée depuis le couloir menant à la salle de l’escalier, sans la moindre séquelle apparente. Il tendit une main secourable à Emy qui la saisit, tout en commençant à comprendre ce qui s’était passé.
« Alors c’était juste une grosse blague ?!? s’exclama-t-elle. Mais, comment c’est possible, les griffes, les blessures, le sang, les téléportations…
-Je t’ai dit que ce n’était pas possible, expliqua Clint, et tu m’as cru sur parole. Il existe une arme qu’on peut acheter dans certaines boutiques et qui permet de transformer ta main en une sorte de lame. Ainsi qu’un orbe de téléportation qui permet d’aller instantanément d’un endroit à un autre dans un lieu prédéfini, en l’occurrence la maison d’Iza. Quant à ma blessure et au sang, ils étaient bien réels, mais l’orbe de soin et ses effets aussi. D’ailleurs, tu en as bien mérité une en cadeau, pour la peine. »
Il activa son Pad et transféra une des boules bleues salvatrices de son inventaire à celui de la malheureuse victime. Pendant ce temps, Emy reporta son attention sur la prétendue « membre fantôme ».
« Vous n’avez jamais été une Onryō ou je ne sais pas quoi, c’est ça ?
-Hé oui, répondit-elle, visiblement fier de la réussite de sa farce. Et je ne suis pas barjot, si tu veux savoir. »
Elle frotta son visage, faisant disparaître une sorte de fond de teint qui avait donné à son visage sa couleur cadavérique, laissant entrevoir une peau d’une couleur parfaitement normale, et même légèrement bronzée.
« Génial, non ? interrogea-t-elle. On aurait vraiment dit une morte-vivante, et j’étais vachement convaincante en plus. »
Emy pris une seconde pour assimiler ces informations et s’écria :
« MAIS VOUS ÊTES COMPLÈTEMENT MALADES! J’AI FAILLI CREVER DE TROUILLE ! ET PUIS J’AURAI PU TE TUER ! ET TU AS POIGNARDÉ TON VOISIN JUSTE POUR ME FAIRE UNE BLAGUE !
-N’en fais pas une montagne, grommela Izanami. C’était juste une blague de bienvenue. Et puis, on ne peut pas mourir, alors bon…
-Tu permets que je parle avec Emy en privé, Iza ? l’interrompit Clint. Je lui dois bien quelques explications.
-Si ça te chante, mais elle a quand même l’air sacrément grincheuse, répondit-elle, boudeuse, avant de s’éclipser.
-Excuse-nous, reprit-il alors, toujours souriant. On ne pensait pas à mal, mais on ne voit pas souvent de nouvelles têtes par ici, alors on s’est dit qu’il faudrait marquer le coup… Iza a peut-être l’air désagréable comme ça, mais en fait, elle est du genre… espiègle. Je suis sûr que tu l’apprécieras si vous apprenez à vous connaître. »
Un peu vexée d’avoir été le dindon de la farce, Emy garda un visage fermé :
« Tu m’as parlé de la disparition des bots tout à l’heure, qu’est-ce que tu sais là-dessus ? Et comment tu es au courant ?
-Ce serait difficile de ne pas l’être. Sur la quarantaine de bots que compte le village en temps normal, il n’y en a plus qu’une vingtaine en ce moment. Les premiers à disparaître étaient les plus anciens, et j’ai d’abord cru que Phil les avait tout simplement supprimés. Mais il y en a eu de plus en plus au fil du temps, et de modèles plus récents, sans qu’ils soient remplacés.
-Rien d’autre ?
-J’en ai déjà vu plusieurs partir vers les montagnes de l’Est. J’ai bien essayé de les suivre, mais j’ai toujours fini par les perdre. Mais je pense que s’ils sont quelque part, c’est là-bas. Navré, mais je n’ai pas beaucoup d’autres informations. Si tu veux, je te guiderai vers la zone où j’ai perdu leur trace, un de ces quatre.
-D’accord, merci… »
Elle prit un instant pour réfléchir à ce qu’elle venait de vivre, et en s’imaginant la tête qu’elle avait dû faire en le voyant se faire poignarder ou en tombant dans la cave, elle ne put cacher un sourire.
« Bon, j’avoue que c’était assez drôle, avec le recul, avoua-t-elle. Mais ne vous avisez pas de me refaire un coup pareil ! Et surtout, si un nouveau venu arrive dans le village et que vous organisez une autre chose comme ça, je veux en être !
-Tu seras la première informée ! promit son interlocuteur avec son éternel sourire. Ah, et si tu as besoin d’aide pour ton enquête, je suis là, tu peux compter sur moi.
-Merci ! Bon, je vais y aller, j’ai encore du travail si je veux trouver qui est à l’origine de tout ça… Ou en tout cas, pour aider à le retrouver. Si quelque chose te reviens, tu sais où me trouver.
-Sans faute ! »
Emy commença à marcher vers la sortie, alors qu’autour d’elle la luminosité était soudainement revenue à la normale, tout en réfléchissant à l’extraordinaire journée qu’elle venait de passer, quand une phrase prononcée plus tôt par son nouvel ami lui revint à l’esprit. Alors qu’elle était devant la porte d’entrée, elle se retourna vers la silhouette du membre qui avait lui-même fait demi-tour en direction du hall de l’escalier.
« Clint… »
Il s’arrêta, toujours de dos.
« Quand tu m’as parlé d’Izanami alors qu’on était dans son jardin, tu m’as dit que son pseudo était une référence à la déesse de la mort japonaise, et tu as ajouté que « le destin pouvait jouer de sacrés tours ». Au début, j’ai cru que tu faisais allusion à son état de membre fantôme, mais j’y ai repensé et je me suis rendu compte qu’un membre fantôme ne pouvait pas vraiment être considéré comme mort… Qu’est-ce que…
-Izanami, ou plutôt la personne qui avait Izanami pour avatar, est morte il y a plusieurs semaines, répondit Clint, de façon complètement inattendue, toujours de dos. Je ne t’ai pas menti sur ce fait : Izanami est une membre fantôme. »
Il resta de dos, silencieux, et la tristesse qui l’étreignait était palpable.
« Iza n’a plus ressenti le besoin de quitter le village depuis ce temps-là, mais elle se comporte toujours normalement à part ça. C’est peut-être assez horrible mais… Je n’ai jamais connu la « vraie » Izanami, et son avatar n’a quasiment pas changé depuis que… c’est arrivé. Alors, je me suis convaincu que ça n’avait pas vraiment d’importance pour moi… Iza est quelqu’un d’important pour moi, c’est un des seuls membres avec qui je parle régulièrement depuis très longtemps.
-Je… Je suis désolée…
-Ce sont des choses qui arrivent, personne n’est éternel… Enfin, à part peut-être nos avatars, maintenant, et encore. »
Il y eut un long silence gêné, puis Emy demanda :
« Elle est au courant ? Je veux dire… Son avatar…
-Non, je ne pense pas. Elle n’en a jamais parlé.
-Et… Comment tu le sais, si tu ne l’as jamais rencontrée en vrai, peut-être qu’elle a juste arrêté de se connecter, ou bien…
-Ils en ont parlé aux infos. Une adolescente qui avait été retrouvée morte dans sa chambre. Elle était seule chez elle ce soir-là, ils pensent qu’elle a été victime d’un cambrioleur qui croyait la maison vide, il y a dû avoir une altercation, ou quelque chose comme ça, le coup de feu est parti. Elle m’avait déjà dit son vrai nom. C’était le même, à la télé. Son avatar lui ressemblait beaucoup aussi… Quand son comportement a changé, ou plutôt qu’il a cessé de changer, j’étais sûr… »
Il se retourna, son sourire était maintenant triste.
« Je serai là pour t’aider n’importe quand dans ton enquête. Elle aussi, j’en suis sûr… Repose-toi bien, ça a été une journée éprouvante. »
Il se retourna et reprit son chemin. Emy le regarda longuement, cherchant quelque chose à dire ou à faire, mais rien ne vint. Elle eut alors un réflexe, sans doute un peu stupide, et fit apparaître son Pad, avec lequel elle le scanna alors qu’il allait disparaître dans la grande salle qui les avait littéralement avalés un peu plus tôt.
Sur le Pad s’afficha le pseudo « capitaine SZM ».
Tout en avalant les derniers biscuits, dont certains ressemblaient maintenant plus à des tas de miettes qu’autre chose, elle jeta un regard circulaire sur la cuisine. Sa cuisine. Une interface liée au Pad avait beau permettre de décorer chaque pièce meuble par meuble, elle avait préféré sélectionner un style prédéfini, ce qui lui avait évité un travail dont elle préférait se passer ; elle n’avait aucun goût pour la décoration dans la réalité, et la copie de son esprit n’y avait rien changé. Toute la maison était donc meublée dans le plus pur et le plus basique des styles occidentaux, dont elle avait l’habitude, et tant pis si ça jurait avec l’architecture de la maison.
Une fois restaurée, elle « enfila » la tenue de ville qu’elle avait à son arrivée sur le site, le microclimat de Thèmalin étant suffisamment clément pour ne pas nécessiter le port d’une tenue conçue pour affronter le désert, puis elle sortit. Avant de quitter le parc de sa propriété (parler d’un parc ou d’une propriété comme étant les siens avait quelque chose de particulièrement bizarre), elle fit un détour par les écuries, où le cheval offert par Mady, Tiago, avait lui aussi pris ses quartiers. Emy ne savait pas si les bots avaient besoin de manger, et elle lui servit une grosse portion d’avoine dans le doute, avant de partir à l’exploration de Thèmalin.
Toute la ville partageait apparemment le même climat et la même architecture : si Thèmalin n’était pas cohérent avec l’environnement extérieur, au moins l’était-il dans son environnement intérieur.
La première quête d’Emy était-celle du magasin. Enfin, s’il y en avait bien un, et elle l’espérait de tout cœur, car elle n’avait aucune envie de faire un trajet de plusieurs heures à cheval pour aller faire ses courses à Pseuno, à moins qu’il n’y ait un autre village plus proche. Heureusement pour elle, Thèmalin avait sa propre épicerie, qui vendait toutes sortes de produits alimentaires, si on pouvait en croire la devanture. Du reste, le bâtiment ne jurait pas avec le reste du village ; le style architectural était le même, mais il n’avait qu’un seul étage et était tout en longueur. Emy entra.
L’intérieur allait avec l’extérieur ; les étagères présentant les produits étaient en bois sombre, et des lampions étaient répartis un peu partout dans la pièce, diffusant une lumière tamisée. Visiblement, la lumière du dehors n’arrivait pas à filtrer à travers le papier épais qui composait une grande partie des murs. Derrière un comptoir, un bot à l’apparence on ne peut plus banale attendait, droit comme un piquet, sourire aux lèvres. Il la gratifia d’un « Bienvenue, mademoiselle ! » quand elle passa la porte.
Emy était pressée de découvrir le prix ridiculement faible des denrées, et celui-ci fut au-delà de ses espérances. En effet, le prix affiché pour chaque ingrédient ou plat préparé était le même : 0.
« Tout est gratuit ? demanda-t-elle au vendeur.
-En effet, mademoiselle, répondit-il. Le prix de 100% des produits en vente dans notre magasin est actuellement de 0 fragments.
-J’ai l’intention de faire de grosses réserves pour être tranquille un moment, ça pose problème ?
-Non, mademoiselle. Les stocks de 100% des produits en vente dans notre magasin sont actuellement infinis. 100% des produits en vente dans notre magasin ne sont pas périssables, et peuvent être conservés pendant une période de temps infinie.
-D’accord, dans ce cas, je vais voir ce que je prends. »
Emy parcourut d’abord les rayons et sélectionna toutes sortes de produits qu’elle aimait, en faisant attention à diversifier son choix pour ne pas se retrouver à manger sans arrêt les mêmes choses, et en se décidant à choisir plusieurs spécialités locales, apparemment toutes en rapport avec le Japon, comme des daïkons, pour s’essayer à de nouvelles saveurs. Tout en marchant dans les allées, elle se demandait quel était l’intérêt d’un vendeur si tout était gratuit et libre d’accès. Décidément, l’univers de LMDM manquait parfois de cohérence, et visiblement le plus souvent quand ça arrangeait l’administrateur ou les membres.
« La clé du bon fonctionnement du système d’Expérimentation de Réalités Multiples est la cohérence, avait un jour déclaré le professeur Shekhar Bachchan, un éminent scientifique Indien qui faisait partie des gens qui, bien qu’avouant que le système ERM était un énorme bond en avant, craignait ses éventuels effets secondaires. La cohérence au sein de l’univers, mais aussi celle avec notre réalité, sinon, les utilisateurs finiront par être déstabilisés, et par vouloir appliquer les principes des univers virtuels à notre réalité. Autorisez les enfants à voler dans le système ERM, et des enfants sauteront du haut des immeubles avant que nul ne puisse rien y faire. »
Emy, très pressée de s’adonner aux joies du système ERM à l’époque, avait considéré la chose avec mépris ; beaucoup de gens, scientifiques, mais aussi religieux et autres personnes qui n’y connaissaient absolument rien, avaient prédit le pire à propos du système ERM, et pour l’instant aucune de ces craintes ne s’était réalisée. Mais maintenant, Emy s’imaginait un enfant entrant dans une boutique et prenant des choses avant de partir sans même penser à les payer.
« Je deviens comme ces vieux paranos, se fustigea-t-elle. On disait pareil pour les jeux vidéo violents à l’époque… »
Après qu’elle eut finit de parcourir les rayons, le vendeur l’interpella pour lui présenter une sorte de borne plutôt discrète prêt du comptoir.
« Si vous n’avez pas trouvé le produit recherché en magasin, vous pouvez avoir accès à tous les produits disponibles sur LMDM depuis ce terminal », expliqua-t-il.
Quand Emy fut sûre d’avoir tout ce dont elle avait besoin pour au moins un mois, elle quitta le magasin est rentra chez elle et décida d’expérimenter le fonctionnement du système pour la nourriture comme le lui avait expliqué le vendeur avant son départ : elle se dirigea vers son frigo, dans la porte duquel était incrusté un autre écran, sélectionna un plat de pâtes assez simple, puis ouvrit la porte. Le plat apparu devant elle, chaud et prêt à être mangé. Le bot lui avait expliqué que ce système évitait de faire la cuisine à ceux qui considéraient ça comme une corvée, mais qu’il était tout à fait possible de cuisiner de façon traditionnelle. Tant mieux pour les autres, mais si Emy pouvait avoir accès à n’importe quel instant à n’importe quel nourriture sans efforts, elle n’allait pas se priver.
Ensuite, elle commença à réfléchir à un plan pour mener à bien la mission confiée par Scunindar. Elle n’avait pas un très bon pressentiment à propos de tout ça, essentiellement parce qu’elle avait l’impression qu’on lui révélait des choses de plus en plus désagréables, comme le fait qu’elle aurait peut-être à se servir d’armes, au fur et à mesure. Cependant, elle était bien décidée à ne pas se dégonfler, du moins tant que les choses n’iraient pas trop loin.
Vu ce qu’elle connaissait de la situation, elle ne pouvait pas espérer faire grand-chose seule de son côté, mais elle pouvait toujours apporter sa pierre à l’édifice en réunissant autant d’informations que possible de son côté. Scunindar lui avait demandé d’enquêter sur les bots disparus, et c’était précisément ce par quoi elle allait commencer.
Mady lui avait dit la veille que Thèmalin était peuplé de deux membres et d’une quarantaine de bots. En tant que village le plus à l’Est de LMDM, il avait sans doute subit des disparitions, mais restait encore à savoir combien exactement. Compter les bots un par un serait fastidieux, alors Emy décida d’aller interroger les deux membres, qui seraient probablement au courant. Mais encore fallait-il savoir où les trouver. Elle se promit de se mettre à leur recherche juste après le déjeuner.
Et elle n’eut même pas besoin de le faire. Vers 11 heures, on sonna à son portail. Persuadée qu’il s’agissait de Ouaneup ou de Mady, elle sortit. Devant la grille se trouvait un homme, qu’Emy n’avait jamais vu, et qui lui adressa un sourire engageant quand il la vit.
« Bonjour, je commençais à me demander si vous étiez chez vous.
-Bonjour, désolée, j’étais à l’autre bout de la maison. Je peux vous aider ?
-Je suis juste venu vous souhaiter la bienvenue. On dirait bien que nous sommes voisins à partir de maintenant.
-Vous êtes un des deux autres membres qui vivent ici, c’est ça ? demanda Emy en ouvrant le portail. Enchantée, moi, c’est Emy.
-Tout aussi enchanté, il faut dire qu’il n’y a pas grand monde dans les environs, ça fait plaisir de voir de nouvelles têtes. Vous pouvez m’appeler Clint.
-Clint ? D’accord… Vous voulez rentrer 5 minutes pour prendre un café ?
-Non merci, c’est très aimable à vous, mais je ne vais pas vous embêter trop longtemps. S’il vous faut quelque chose, n’hésitez pas.
-Merci bien… »
Le dénommé Clint paru prendre quelques secondes pour réfléchir, ce qui rappela à Emy que le responsable des disparitions se trouvait probablement dans cette région, et qu’elle l’avait peut-être en face d’elle. Celui-ci reprit finalement la parole :
« Bon, en fait, pour être honnête, je ne suis pas juste venu vous souhaiter la bienvenue, et vous pourriez peut-être m’aider. Je pourrai comprendre que vous refusiez, bien sûr…
-Dites toujours, répondit la nouvelle.
-Vous savez servir d’une arme ? »
Emy resta muette quelques secondes à son tour. Les gens sur ce site avaient l’air d’avoir un vrai problème avec les armes, ou alors elle avait été propulsée dans un monde bien plus hostile qu’elle ne l’avait cru.
« Oui, enfin, pas beaucoup, mais j’ai la base.
-Ah tant mieux. Dans ce cas-là, vous pouvez me suivre ? Je vous expliquerai tout en route, et si vous changez d’avis, pas de problème, surtout. »
Emy accepta, et quelques minutes plus tard elle suivait son nouveau voisin dans les rues presque désertes de Thèmalin.
« Bon, je vais essayer d’être concis. Comme vous avez l’air de le savoir, nous étions deux en temps normal à vivre dans ce village avant votre arrivée. Le problème, c’est votre nouvelle voisine.
-Ma nouvelle voisine ?
-C’est ça, et mon ancienne voisine, par conséquent, expliqua Clint, toujours avez le sourire. Elle s’est transformée en Onryō il y a quelques semaines. J’ai demandé un coup de main à l’administration, mais je n’ai jamais eu de réponse, et, pour couronner le tout, quand j’ai vu que Mady était là hier soir, le temps de sortir de chez moi, elle était déjà partie… J’aurai préféré éviter de vous impliquer, mais laisser traîner ça plus longtemps serait dangereux pour tout le monde, nous les premiers…
-Attendez une minute, notre voisine s’est transformée en quoi ?
-En Onryō. »
Devant le visage de la nouvelle habitante qui marquait l’incompréhension, Clint compris qu’il devrait expliquer les choses un peu mieux.
« Dans le système ERM, notre « nous » réel ne doit pas se reconnecter uniquement pour profiter des informations récoltées et des expériences vécues par son avatar, mais aussi pour « réagir » à ce qu’il a vécu, en quelque sorte. C’est un passage obligé, car on n’a pas encore réussi à rendre les avatars complètement indépendants, même si les copies des esprits sont très perfectionnées.
-Je sais tout ça, mais quel est le rapport ?
-Eh bien, quand une personne arrête de se reconnecter à son compte sur une longue période, en temps normal, on suspend son compte, ou on le supprime dans le pire des cas. Mais, quand on ne le fait pas, l’avatar ne reçoit plus de nouvelles instructions, et il finit par tourner en rond. Pour illustrer ça simplement, si notre avatar a attendu parler d’un endroit magnifique à visiter, et que ça intéresse notre « nous » réel quand il se reconnecte, notre avatar ressentira le besoin d’aller voir cet endroit. Bon, c’est simplifié au maximum, car les avatars ont suffisamment de libre arbitre pour décider de choses comme ça seuls la plupart du temps, mais si l’absence est vraiment très longue…
-Bon, écoutez, c’est pas pour vous vexer, mais on pourrait pas abréger un peu ? Je n’ai toujours pas la moindre idée de ce qu’est un Onryō.
-On dirait plutôt une Onryō, en l’occurrence. C’est à la base le nom donné par les japonais à des esprits vengeurs. Quand le membre ne se reconnecte plus pendant longtemps, son avatar commence à répéter encore et encore le même type d’actions. Dans le cas qui nous intéresse, la membre qui vivait ici autrefois attaque tous ceux qui s’aventurent sur sa propriété. Enfin, pour l’instant. Pour être honnête, je dors moins bien la nuit depuis que je sais qu’elle pourrait venir m’égorger dans ma chambre. »
La phrase avait été prononcée avec un son imperturbable sourire. Emy réfléchit un moment, un tas de questions se bousculaient dans sa tête, elle choisit la plus logique :
« C’est courant, les Onryō, ici ? Sur Le Monde de Mario, je veux dire.
-Absolument pas, vu que c’est moi qui ait décidé de l’appeler comme ça, comme c’était en accord avec l’ambiance du village. En temps normal, on parle de « membre fantôme ». Et, le plus souvent, ils n’attaquent pas les gens.
-Et c’était quel genre de membre ?
-Une jeune femme qui se faisait appeler Izanami, comme la déesse de la mort de la mythologie japonaise. Comme quoi, le destin peut jouer des sacrés tours… Elle était vraiment mordue d’animation japonaise, surtout des films de Miyazaki. C’est en partie pour lui faire plaisir que Phil a donné cette apparence à Thèmalin, c’était pas plus mal d’ailleurs, le côté « village mexicain perdu au milieu du désert » était devenu vite lassant.
-Donc vous viviez déjà ici avant que ce village devienne une sorte d’anomalie spatiale ?
-En effet, et, bots mis à part, j’y vivais seul d’ailleurs.
-Vous ne sentiez pas le besoin de vivre près d’autres gens?
-Il y a longtemps que j’ai décidé de prendre de la distance, ça ne m’a jamais posé problème. Ah, d’ailleurs, on arrive. »
Ils étaient maintenant devant la plus grande résidence du village, et de loin. Le bâtiment avait trois étages, et était entouré d’un immense jardin planté d’arbres majestueux. La grille était fermée. Clint dégaina un revolver et l’invita d’un geste de la tête à en faire de même. Elle s’exécuta, sentant un mélange d’excitation et de peur monter en elle. Elle avait l’impression d’être sur le point de donner l’assaut à la maison comme dans les séries policières qu’elle regardait parfois.
Clint poussa la grille qui s’ouvrit doucement. Ils se retrouvèrent à marcher sur une allée de gravillons blancs, qui crissaient sous leurs pas. Le jardin semblait parfaitement entretenu, mais ça ne voulait rien dire, car la végétation ne poussait pas forcément comme dans la réalité dans le système ERM. Ils passèrent à proximité d’un jardin zen au milieu duquel coulait une fontaine au son apaisant. Rien ne laissait croire qu’une sorte de monstre vivait ici. Emy réfléchissait à la situation, car les évènements semblaient s’enchaîner de plus en plus vite.
« Vous disiez que les membres fantômes répètent encore et encore la dernière chose que leur version réelle voulait faire. Mais cette Izanami n’avait pas l’air d’être du genre à attaquer les gens, je me trompe ?
-C’est exact. En fait, Izanami a été une membre fantôme tout à fait calme pendant plusieurs semaines. Elle a commencé à être agressive il y a un peu plus de deux semaines…
-Bon, je vois. Et c’est quoi le plan ? Elle a beau avoir pété les plombs, ça reste une membre, et elle est donc immortelle, non ?
-On ne peut pas la tuer, mais on peut la neutraliser suffisamment longtemps pour la mettre dans un train pour la capitale. Une fois qu’ils l’auront sous le nez, ils seront bien obligés de s’en occuper. »
Emy hocha la tête, vérifia que la sécurité de son arme était bien enlevée, puis Clint porta sa main vers la poignée de la porte d’entrée coulissante. Elle glissa dans un chuintement, s’ouvrant sur les ténèbres à l’intérieur. Ils entrèrent.
Bien qu’il n’y avait pas la moindre trace de poussière sur le sol ou les quelques meubles de l’entrée, système ERM oblige, on pouvait clairement sentir que l’endroit était à l’abandon depuis un moment. On pouvait difficilement voir à plus de quelques mètres, tant le noir était opaque, ce qui ne paraissait pas du tout naturel à l’enquêtrice amatrice, surtout en plein jour dans une maison aux murs de papier.
« On devrait commencer par sa chambre, chuchota Clint. Heureusement pour nous, je suis venu plusieurs fois à l’époque où elle était encore parmi nous. On doit monter au premier étage et prendre à droite, et ça doit être par là. Maintenant, plus un mot, on doit jouer sur l’effet de surprise. »
Il enchaîna avec un signe de la main en direction de la porte devant eux, et ils commencèrent à marcher, un pas après l’autre, faisant grincer le plancher à chaque pas. Beaucoup trop fort au goût de l’infiltrée, qui avait l’impression de faire autant de bruit qu’un orchestre en plein récital à chaque fois qu’elle mettait un pied devant l’autre.
De part et d’autre du couloir, des portes donnaient sur des pièces à vivre, comme un salon ou une salle à manger, le tout meublé dans le plus pur style japonais, avec des coussins en guise de chaises par exemple, qui étaient parfaitement ordonnée, mais sans vie, comme des pièces d’exposition dans un magasin de meubles.
Mis à part le bruit de leur propre progression, le silence était seulement troublé par le bruit du vent qui faisait doucement trembler les cloisons en papier. Cela rendait l’ambiance oppressante au point que l’envie de s’enfuir à toutes jambes la gagna rapidement. Seul élément rassurant, Clint qui, à côté d’elle, continuait d’afficher un sourire inébranlable tout en jetant des regards vaguement intéressés autour de lui, comme s’il visitait une simple maison hantée de fête foraine. Ils arrivèrent finalement dans un vaste hall où un escalier en bois montait vers les étages supérieurs. L’ombre était toujours aussi dense.
Et tout d’un coup, un grincement venant de l’étage se fit attendre. Emy s’immobilisa, paralysée par la peur, tandis que son compagnon levait les yeux vers le sommet de l’escalier, plongé dans la pénombre. Ils restèrent immobiles et silencieux pendant plus d’une minute, la respiration haletante, les sens aux aguets.
En un instant, un visage d’un blanc diaphane, presque translucide, apparut à quelques centimètres à gauche de celui de la jeune femme. Elle se retourna et plongea quasiment en arrière, tout en vidant le chargeur de son arme à l’endroit où le visage se trouvait quelques secondes auparavant. L’écho des coups de feu résonna encore un instant dans le vaste édifice.
« Là, il y avait un… Un…
-Du calme, du calme, d’accord ? Recharge. Ça devait être elle. Elle sait qu’on est là, maintenant.
-Comment elle a pu disparaître comme ça ? C’est une membre comme les autres, non ? Pas vrai ?
-Normalement… »
Il fut interrompu par un nouveau grincement, qui semblait cette fois venir de partout à la fois, suivi d’une respiration rauque qui leur glaça le sang.
« On devrait demander du renfort, non ? demanda Emy, la voix rendue un peu plus aigüe par la peur.
-Trop tard pour faire marche arrière, répondit Clint, qui ne paraissait pas en mener large non plus. Elle risquerait de nous poursuivre dehors. »
Il pris une grande bouffée d’air et cria : « Izanami, sort de là, ça a assez duré ! »
Il n’eut pendant un instant que le silence pour toute réponse.
L’apparition de leur cible fut tellement soudaine et silencieuse qu’ils faillirent ne même pas l’apercevoir. Elle était debout devant l’escalier, non dénuée de grâce, notamment grâce à son yukata rouge à motif floral jaune. Sa peau était décidément d’une blancheur absolue, ce qui contrastait avec ses profonds yeux noirs et ses longs cheveux châtains clair. Elle pointa l’index vers Clint, et prononça d’une voix glacée :
« Vous devez payer.
-Payer, payer pour quoi ? lança Emy d’une voix anxieuse.
-Vous… n’avez… rien… à faire… ici », répondit-elle.
Elle fondit droit vers son voisin qu’elle projeta au sol, et tous deux roulèrent sur plusieurs mètres avant de percuter un mur. Emy pointa son arme dans sa direction, tremblant comme une feuille et incapable de viser correctement. Le bruit assourdissant et les déflagrations de plusieurs tirs témoignèrent de la réplique de Clint, mais elle ne porta visiblement pas ses fruits, car l’Onryō se redressa et disparut dans l’ombre en un instant, ne laissant derrière elle que le silence lourd comme une chape de plomb, troublé par la respiration haletante du jeune homme. Celui-ci se releva péniblement, tout en essuyant un mince filet de sang qui coulait le long de son menton depuis sa bouche. Malgré tout, il arborait à nouveau un léger sourire.
« C’est encore pire que ce que je croyais, déclara-t-il. Il va falloir en finir vite ou elle nous aura à l’usure. »
Il remarqua alors qu’Emy avait blanchi.
« Tu… Tu saignes », fit-elle remarquer d’une voix tremblante.
Il se pencha vers son ventre, constatant la présence de larges marques de griffes à l’endroit où l’avait percutée son ancienne voisine. La douleur commença à se faire sentir à cet instant.
« On dirait bien, oui. Elle peut faire apparaître des griffes apparemment, soyez prudente.
-C’est normal tout ça ? demanda la nouvelle, complètement désorientée. Qu’elle puisse disparaître comme ça et se faire pousser des griffes… Et tout ça…
-Pas vraiment, non. Raison de plus pour l’arrêter au plus vite. »
Il avança vers le centre de la pièce où il se tenait avant la charge, et se plaça dos à dos avec son acolyte, puis il s’écria :
« Sors de là et finissons-en, compris Izanami ? »
Ils entendirent alors un craquement sourd qui semblait venir de toute la maison, puis le sol se déroba sous leurs pieds, comme s’il essayait de les avaler. Ils chutèrent, puis tombèrent lourdement sur un sol dur et plutôt froid, qu’Emy identifia comme étant de la terre.
« La cave », annonça son compagnon en se relevant péniblement, le bras gauche crispé sur son ventre blessé.
L’endroit paraissait encore plus sombre et froid que le reste de la bâtisse, son sol était bel et bien composé de terre battue, tandis que les murs étaient en grosses planches de bois sombre. L’ameublement se composait uniquement d’étagère et de jarres destinées au stockage de denrées. Clint fit apparaître son Pad qui diffusa une lumière bleutée sur son visage, et bientôt une lampe de poche apparut dans sa main, suivie de près pas une sort de boule en verre à l’intérieur de laquelle semblait voler un nuage bleu qui tournoyait sans arrêt. Le vétéran la brisa, les débris de verre disparurent instantanément et une lumière bleue commença à tournoyer autour de lui, avant de se concentrer autour de son ventre, et la blessure cicatrisa instantanément.
« Tu n’as pas été touchée ? demanda-t-il. Je dois avoir des boules de soin en rab.
-Non, ça va… Mais je donnerai cher pour être n’importe où ailleurs…
-T’inquiètes, on va sûrement voir débarquer Mady ou un modo si tu disparais pendant trop longtemps…
-Comment vous pouvez en être aussi sûr ? Vous avez dit qu’ils n’avaient pas bougé le petit doigt quand cette fille avait pété les plombs…
-Oui, mais toi, tu n’étais pas là.
-Et quelle différence ça fait ?
-Je suppose que Phil ne serait pas particulièrement heureux en apprenant que sa nouvelle recrue a disparu dans la baraque d’une membre devenue folle à lier.
-Comment vous savez…
-Je suis membre de LMDM depuis très longtemps maintenant, Emy. Quand je vois Mady se donner la peine d’accompagner une parfaite inconnue dans son nouveau village, alors qu’elle se tient même à bonne distance des anciens membres la plupart du temps, je me doute que ce n’est pas par simple courtoisie. À plus forte raison quand ce nouveau village se trouve au beau milieu d’une zone touchée par quelque chose d’aussi grave que des disparitions de bots en masse.
-Vous savez quelque chose là-dessus ?
-Quelques trucs, mais je vous parlerai de tout ça quand nous ne serons plus coincés dans cet endroit avec le fantôme vengeur de mon ancienne voisine. D’accord ?
-D’accord. »
Emy sentit une certaine excitation la gagner. Malgré la situation peu enviable dans laquelle elle se trouvait, elle avait peut-être déjà des résultats pour son enquête. Clint avait sûrement raison, en plus : ils ne tarderaient sûrement pas à voir Ouaneup débarquer pour les aider. En tant que modératrice, elle devait avoir tout un tas de trucs pour venir à bout des membres récalcitrants d’un claquement de doigts.
« Bon, lança-t-elle, revigorée. Elle a beau être bizarre, ça reste une membre comme les autres, donc si on lui colle une balle en plein buffet, c’est game over pour elle, exact ?
-Normalement, oui, convint l’ancien. Mais un membre normal n’est pas censé pouvoir transformer ses mains en griffes.
-Bon, j’ai compris. Dans ce cas, autant s’en assurer. On remonte ?
-C’est d’accord, mais si les choses tournent mal, tu devras courir vers la sortie aussi vite que tu le pourras, c’est bien compris ?
-Compris, répondit Emy, déterminée. Et si j’arrive à m’en tirer, j’irai chercher du secours aussi vite que possible.
-Ok, faisons comme ça. »
Il se leva, vérifia rapidement que son arme était bien chargée, puis se dirigea vers l’escalier en bois grinçant qui menait vers la porte de la cave, suivit de près par la jeune femme. Il posa la main sur la poignée, l’ouvrit à toute volée tout en pointant son arme dans toutes les directions, pour constater qu’ils avaient débarqué dans un couloir qui menait droit vers le grand hall de l’escalier d’où ils étaient tombés.
« C’est fini la rigolade, Izanami ! lança Clint d’un ton impérieux, une nouvelle fois. Viens nous affronter une bonne fois pour toute ! »
Répondant à son appel, la quasi-spectre apparut dans la lumière de sa lampe, devant eux, bras le longs du corps, cheveux cascadant sur son visage, ne laissant voir qu’un œil qui les fixait froidement. Ils pointèrent leurs armes dans sa direction, mais avant même qu’ils n’aient pu appuyer sur la gâchette, elle fondit sur eux avec une vitesse surhumaine, plongea sur Clint et le renversa pour la deuxième fois. Sa lampe heurta le sol dans un bruit sourd et n’éclaira plus que les murs vers lequel elle était pointée. Les bruits de lutte emplirent l’espace, et Clint hurla :
« Cours Emy ! Cours ! »
Elle s’exécuta, déterminée à atteindre la sortie pour aller chercher de l’aide. De toute façon, Clint ne pouvait pas mourir. Une fois dans le hall d’entrée, elle bifurqua vers le couloir menant à l’entrée. Bientôt, la porte apparut devant elle, comme irradiée de la lumière extérieure. Mais, alors que la délivrance n’était plus qu’à quelques mètres, elle sentit ses jambes se bloquer, et elle s’étala de tout son long sur le sol. Elle entendit à son oreille une voix désormais connue lui murmurer : « Tu crois vraiment que tu peux t’en tirer aussi facilement ? », et sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque.
Elle essaya de mettre sa main sur son arme, qui avait glissé à plusieurs mètres, mais ses bras semblaient collés le long de son corps, comme si une force invisible la serrait de toutes ses forces. Alors que la panique commençait définitivement à la gagner, elle entendit un éclat de rire, qui n’avait rien de lugubre ou de morbide.
« Si tu voyais ta tête ! s’amusa l’Onryō qui arborait un large sourire, et qui venait d’apparaitre à califourchon au-dessus d’elle. Je n’aurai jamais cru que tu marcherais à ce point !
-Laisse-la partir, Iza, conseilla derrière elle la voix familière de Clint. Elle a eu plus que son compte.
-Je veux, répondit « Iza » en se levant. Elle est morte de trouille ! »
Clint arriva dans l’entrée depuis le couloir menant à la salle de l’escalier, sans la moindre séquelle apparente. Il tendit une main secourable à Emy qui la saisit, tout en commençant à comprendre ce qui s’était passé.
« Alors c’était juste une grosse blague ?!? s’exclama-t-elle. Mais, comment c’est possible, les griffes, les blessures, le sang, les téléportations…
-Je t’ai dit que ce n’était pas possible, expliqua Clint, et tu m’as cru sur parole. Il existe une arme qu’on peut acheter dans certaines boutiques et qui permet de transformer ta main en une sorte de lame. Ainsi qu’un orbe de téléportation qui permet d’aller instantanément d’un endroit à un autre dans un lieu prédéfini, en l’occurrence la maison d’Iza. Quant à ma blessure et au sang, ils étaient bien réels, mais l’orbe de soin et ses effets aussi. D’ailleurs, tu en as bien mérité une en cadeau, pour la peine. »
Il activa son Pad et transféra une des boules bleues salvatrices de son inventaire à celui de la malheureuse victime. Pendant ce temps, Emy reporta son attention sur la prétendue « membre fantôme ».
« Vous n’avez jamais été une Onryō ou je ne sais pas quoi, c’est ça ?
-Hé oui, répondit-elle, visiblement fier de la réussite de sa farce. Et je ne suis pas barjot, si tu veux savoir. »
Elle frotta son visage, faisant disparaître une sorte de fond de teint qui avait donné à son visage sa couleur cadavérique, laissant entrevoir une peau d’une couleur parfaitement normale, et même légèrement bronzée.
« Génial, non ? interrogea-t-elle. On aurait vraiment dit une morte-vivante, et j’étais vachement convaincante en plus. »
Emy pris une seconde pour assimiler ces informations et s’écria :
« MAIS VOUS ÊTES COMPLÈTEMENT MALADES! J’AI FAILLI CREVER DE TROUILLE ! ET PUIS J’AURAI PU TE TUER ! ET TU AS POIGNARDÉ TON VOISIN JUSTE POUR ME FAIRE UNE BLAGUE !
-N’en fais pas une montagne, grommela Izanami. C’était juste une blague de bienvenue. Et puis, on ne peut pas mourir, alors bon…
-Tu permets que je parle avec Emy en privé, Iza ? l’interrompit Clint. Je lui dois bien quelques explications.
-Si ça te chante, mais elle a quand même l’air sacrément grincheuse, répondit-elle, boudeuse, avant de s’éclipser.
-Excuse-nous, reprit-il alors, toujours souriant. On ne pensait pas à mal, mais on ne voit pas souvent de nouvelles têtes par ici, alors on s’est dit qu’il faudrait marquer le coup… Iza a peut-être l’air désagréable comme ça, mais en fait, elle est du genre… espiègle. Je suis sûr que tu l’apprécieras si vous apprenez à vous connaître. »
Un peu vexée d’avoir été le dindon de la farce, Emy garda un visage fermé :
« Tu m’as parlé de la disparition des bots tout à l’heure, qu’est-ce que tu sais là-dessus ? Et comment tu es au courant ?
-Ce serait difficile de ne pas l’être. Sur la quarantaine de bots que compte le village en temps normal, il n’y en a plus qu’une vingtaine en ce moment. Les premiers à disparaître étaient les plus anciens, et j’ai d’abord cru que Phil les avait tout simplement supprimés. Mais il y en a eu de plus en plus au fil du temps, et de modèles plus récents, sans qu’ils soient remplacés.
-Rien d’autre ?
-J’en ai déjà vu plusieurs partir vers les montagnes de l’Est. J’ai bien essayé de les suivre, mais j’ai toujours fini par les perdre. Mais je pense que s’ils sont quelque part, c’est là-bas. Navré, mais je n’ai pas beaucoup d’autres informations. Si tu veux, je te guiderai vers la zone où j’ai perdu leur trace, un de ces quatre.
-D’accord, merci… »
Elle prit un instant pour réfléchir à ce qu’elle venait de vivre, et en s’imaginant la tête qu’elle avait dû faire en le voyant se faire poignarder ou en tombant dans la cave, elle ne put cacher un sourire.
« Bon, j’avoue que c’était assez drôle, avec le recul, avoua-t-elle. Mais ne vous avisez pas de me refaire un coup pareil ! Et surtout, si un nouveau venu arrive dans le village et que vous organisez une autre chose comme ça, je veux en être !
-Tu seras la première informée ! promit son interlocuteur avec son éternel sourire. Ah, et si tu as besoin d’aide pour ton enquête, je suis là, tu peux compter sur moi.
-Merci ! Bon, je vais y aller, j’ai encore du travail si je veux trouver qui est à l’origine de tout ça… Ou en tout cas, pour aider à le retrouver. Si quelque chose te reviens, tu sais où me trouver.
-Sans faute ! »
Emy commença à marcher vers la sortie, alors qu’autour d’elle la luminosité était soudainement revenue à la normale, tout en réfléchissant à l’extraordinaire journée qu’elle venait de passer, quand une phrase prononcée plus tôt par son nouvel ami lui revint à l’esprit. Alors qu’elle était devant la porte d’entrée, elle se retourna vers la silhouette du membre qui avait lui-même fait demi-tour en direction du hall de l’escalier.
« Clint… »
Il s’arrêta, toujours de dos.
« Quand tu m’as parlé d’Izanami alors qu’on était dans son jardin, tu m’as dit que son pseudo était une référence à la déesse de la mort japonaise, et tu as ajouté que « le destin pouvait jouer de sacrés tours ». Au début, j’ai cru que tu faisais allusion à son état de membre fantôme, mais j’y ai repensé et je me suis rendu compte qu’un membre fantôme ne pouvait pas vraiment être considéré comme mort… Qu’est-ce que…
-Izanami, ou plutôt la personne qui avait Izanami pour avatar, est morte il y a plusieurs semaines, répondit Clint, de façon complètement inattendue, toujours de dos. Je ne t’ai pas menti sur ce fait : Izanami est une membre fantôme. »
Il resta de dos, silencieux, et la tristesse qui l’étreignait était palpable.
« Iza n’a plus ressenti le besoin de quitter le village depuis ce temps-là, mais elle se comporte toujours normalement à part ça. C’est peut-être assez horrible mais… Je n’ai jamais connu la « vraie » Izanami, et son avatar n’a quasiment pas changé depuis que… c’est arrivé. Alors, je me suis convaincu que ça n’avait pas vraiment d’importance pour moi… Iza est quelqu’un d’important pour moi, c’est un des seuls membres avec qui je parle régulièrement depuis très longtemps.
-Je… Je suis désolée…
-Ce sont des choses qui arrivent, personne n’est éternel… Enfin, à part peut-être nos avatars, maintenant, et encore. »
Il y eut un long silence gêné, puis Emy demanda :
« Elle est au courant ? Je veux dire… Son avatar…
-Non, je ne pense pas. Elle n’en a jamais parlé.
-Et… Comment tu le sais, si tu ne l’as jamais rencontrée en vrai, peut-être qu’elle a juste arrêté de se connecter, ou bien…
-Ils en ont parlé aux infos. Une adolescente qui avait été retrouvée morte dans sa chambre. Elle était seule chez elle ce soir-là, ils pensent qu’elle a été victime d’un cambrioleur qui croyait la maison vide, il y a dû avoir une altercation, ou quelque chose comme ça, le coup de feu est parti. Elle m’avait déjà dit son vrai nom. C’était le même, à la télé. Son avatar lui ressemblait beaucoup aussi… Quand son comportement a changé, ou plutôt qu’il a cessé de changer, j’étais sûr… »
Il se retourna, son sourire était maintenant triste.
« Je serai là pour t’aider n’importe quand dans ton enquête. Elle aussi, j’en suis sûr… Repose-toi bien, ça a été une journée éprouvante. »
Il se retourna et reprit son chemin. Emy le regarda longuement, cherchant quelque chose à dire ou à faire, mais rien ne vint. Elle eut alors un réflexe, sans doute un peu stupide, et fit apparaître son Pad, avec lequel elle le scanna alors qu’il allait disparaître dans la grande salle qui les avait littéralement avalés un peu plus tôt.
Sur le Pad s’afficha le pseudo « capitaine SZM ».
"Oui mais quand tu lances un débat politique ici ça tourne au vinaigre en général.
Dénommé Koopa, vous êtes le vinaigre."
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
Il fallut un moment à Emy pour se remettre de ce qu’elle avait appris. En voyant Clint, ou plutôt « capitaine SZM » cracher le morceau aussi facilement, elle avait compris qu’il avait eu vraiment besoin d’en parler, et qu’elle avait probablement été la première personne à laquelle il avait pu s’adresser. Le problème, c’était qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’il fallait dire ou faire pour l’aider, et c’était encore pire pour Izanami elle-même. Elle avait l’impression qu’elle n’arriverait plus jamais à la regarder en face, et encore moins à lui parler. Que se passerait-il si son avatar apprenait qu’elle était morte ? Deviendrait-il fou ?
Pour ne plus avoir à y penser, une fois dans sa chambre, elle s’effondra sur son lit, contemplant le plafond, tout en réfléchissant à son enquête. Le témoignage de Clint était précieux : les bots ne disparaissaient pas littéralement, mais ils partaient d’eux-mêmes vers les montagnes de l’Est, où on perdait leur trace. Restait à savoir ce qui les poussait à le faire. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de bug qui les poussait à tous se rendre à un même endroit, mais peut-être aussi que quelqu’un se cachait derrière cette étrange instruction. « Scunindar et les modérateurs doivent déjà être au courant, ils sillonnent déjà les montagnes de l’Est », pensa-t-elle. D’un autre côté, aller voir elle-même ne coûterait rien.
Emy avala son diner avant d’aller dormir exceptionnellement tôt. Elle avait beau essayer de se convaincre que c’était pour être en forme pour ses recherches le lendemain, elle savait pertinemment que c’était surtout pour ne plus avoir à penser aux évènements du jour.
Le lendemain matin, elle petit déjeuna rapidement et se mit aussitôt en route pour la maison de Clint. Elle fit quelques pas dans la rue avant de se rendre compte qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où il vivait. Se voyant mal taper à toutes les portes les unes après les autres, sachant que le village comptait au moins un cinquantaine de demeures, elle se décida à faire la seule chose logique dans cette situation : aller dans la maison d’Izanami.
Elle trouva la grille ouverte et y entra, retrouvant le même jardin que la veille. Elle se dirigea vers la porte coulissante et, ne sachant pas trop comment attirer l’attention des occupants d’un bâtiment pareil, elle toqua sur un linteau en bois sombre. À la vue d’Izanami, qui vint aussitôt lui ouvrir, sa gorge se serra, mais elle fit son possible pour faire abstraction.
« Bonjour, Izanami, déclara-t-elle en essayant autant que possible de faire bonne figure.
-Bonjour… Emy, c’est ça ? Je peux t’aider ?
-Heu… Oui. Je cherche Clint.
-Ah, pourquoi, il n’est pas chez lui ?
-En fait… Je ne sais pas où c’est, chez lui. »
La membre fantôme la regarda un moment, puis un demi-sourire apparut sur son visage.
« Allez, entre boire un verre, je vais l’appeler. »
Emy suivit Iza à l’intérieur, et remarqua était beaucoup plus accueillant que lors de sa première visite, notamment parce que la lumière filtrait normalement à travers le papier des murs. À vrai dire, même les boiseries semblaient plus claires. Son hôtesse l’emmena jusqu’à sa salle à manger, et elle se retrouva à genoux sur un coussin devant une table basse, un verre de jus d’orange devant elle. Pendant qu’elle buvait, Izanami activa son Pad et écrivit rapidement un message.
« Il ne devrait pas tarder, annonça-t-elle.
-Merci, répondit simplement son invitée.
-Alors, pourquoi tu as besoin de voir le capitaine aussi tôt ?
-Le capitaine ?
-Ah, je vois, il t’a fait le coup de « appelez-moi Clint gnagnagnagna ». Comme s’il pouvait cacher ça bien longtemps alors que n’importe qui qui prend la peine de le scanner voit son vrai pseudo. Et alors, en quoi il peut se rendre utile ?
-J’ai besoin de lui pour qu’il me guide dans les montagnes de l’Est », expliqua Emy.
Pendant toute la conversation, elle n’avait pas pu s’empêcher d’éviter le regard de son interlocutrice. Celle-ci l’avait remarqué, et au bout d’un moment, laissant éclater son agacement, elle lança :
« Bon, très bien, je vois ce qui te tracasse avec moi.
-De… Pardon ?
-Ne joue pas l’innocente, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Tu m’en veux encore pour hier. Je suis désolée, d’accord ?
-Ah, d’accord… C’était rien, en fait, c’était même plutôt amusant.
-Je le savais ! SZM avait peur qu’on y ait été un peu fort, mais c’était plutôt sympa en définitive, non ?
-Oui, assez… »
S’ensuivit un silence gêné.
« Et pourquoi les montagnes de l’Est ? C’est pas vraiment le genre d’endroit rêvé pour une randonnée…
-J’ai quelques chose à vérifier.
-Oh… »
Nouveau silence. Comprenant que son invitée n’avait pas très envie de discuter, Iza n’insista pas. Heureusement, Clint arriva à la rescousse. Il fit la bise à Izanami puis serra la main d’Emy.
« Je peux t’aider ? demanda-t-il immédiatement.
-C’est à propos de ce dont on a discuté hier. J’aimerai que tu m’accompagnes aujourd’hui. Je pense que plus vite on s’y mettra et plus on aura de chances de trouver ce qu’on cherche.
-Ça se tient.
-Qu’est-ce que vous allez faire, exactement, dans les montagnes de l’Est ? intervint Iza.
-Tu as remarqué que des bots avaient disparu dans le village, n’est-ce pas ? répondit son ami. On va essayer de trouver ce qui leur est arrivé.
-D’accord… »
Elle se leva et partit dans la pièce à côté, sans qu’aucun des deux autres ne comprenne exactement pourquoi. Ils enchaînèrent sur les préparatifs de leur expédition : tenue adaptée au désert, provisions et eau, nécessaire de camping, armes et tout un tas d’autres choses. Heureusement pour eux, tout était accessible depuis leur Pad.
Quand ils eurent fini, à leur grande surprise, leur hôtesse réapparut dans l’encadrement de la porte par laquelle elle était sortie, en tenue désertique, large sourire aux lèvres.
« Iza, qu’est-ce que tu… s’étonna Clint.
-Je viens avec vous, bien sûr ! On ne sera pas trop de trois pour affronter ces tas de caillasses, et surtout l’ennui mortel qui y règne. En plus, j’ai bien envie de savoir ce que sont devenus ces bots, moi aussi. »
Clint ne dis rien pendant un moment.
« Quelque chose ne va pas ? finit par demander la membre fantôme. Si tu veux pas que je vienne, dis-le tout de suite…
-Bien sûr que si, Iza. Tu as raison, on ne sera pas trop de trois. On finit de se préparer, et c’est parti. »
Une demi-heure plus tard, ils étaient réunis devant la grande maison qui avait été le théâtre de l’épisode horrifique du jour précédent, en tenue adaptée aux conditions désertiques, sacs sur le dos, lunettes de soleil sur le nez, et armes à portée de main grâce au système des favoris.
« Je vais vérifier que je n’ai rien oublié avant de partir », lança Izanami avant de regagner l’intérieur de sa demeure pour quelques minutes.
Emy décida d’en profiter pour parler un peu à Clint. Depuis qu’il avait appris que sa vieille amie et voisine allait les accompagner, il avait gardé le regard préoccupé et absent des gens plongés dans leurs réflexions. La nouvelle sentait pourquoi, car elle se doutait qu’il y avait quelque chose de perturbant à voir une membre fantôme censée être plus ou moins privée de volonté propre décider soudainement de les accompagner.
« Qu’est-ce qui se passe, quelque chose te tracasse ?
-Emy, c’est… C’est la première fois qu’Iza va quitter le village depuis des semaines ! Normalement, plus le temps passe et moins un membre fantôme est actif, pas l’inverse !
-Tu es sûr… Il y a peut-être des exceptions, ou…
-Je n’ai jamais entendu parler d’exceptions ! Peut-être que… Tout n’est pas fini en fin de compte…
-Je l’espère vraiment pour toi, Clint », lui assura sa nouvelle amie avec un léger sourire.
L’objet de leur conversation revint peu après, et ils se lancèrent sans attendre. Le sourire du seul homme du groupe lui parut plus sincère que jamais.
Ils quittèrent la ville, et devant eux s’étalèrent des rizières dont l’eau stagnante dégageait une agréable fraicheur. Au loin, leur destination, les immenses montagnes ocre de l’Est, semblait les défier. Après une demi-heure de marche, les rizières verdoyantes commencèrent à céder leur place à du sable fin, accompagné d’une chaleur implacable. Emy commença vraiment à regretter de ne pas avoir pris son cheval quand la sensation de sueur collant sur sa peau commença à se faire sentir, mais Clint lui avait expliqué que les chevaux étant aussi des bots, en emmener aurait été risqué : ils auraient pu les abandonner au milieu de nulle part, voire se retourner contre eux si la personne à l’origine de tout ça avait préféré éviter qu’on fouine dans ses affaires. Et pour couronner, leur destination était difficilement praticable pour des montures.
Les trois « aventuriers » marchaient les uns à côté des autres. Clint, au centre, consultait à intervalles réguliers la carte intégrée à son Pad pour s’assurer qu’ils étaient dans la bonne direction, car le chemin, devenu une simple piste, avait finis par disparaître dans le méandre des dunes. Pour couronner le tout, il avait expliqué à celle qu’il guidait que les montagnes de l’Est n’apparaissaient pas sur les cartes, comme d’autres lieux de LMDM, pour que les explorateurs en herbe puissent s’en donner à cœur joie. À sa droite, l’initiatrice de l’expédition jetait sans arrêt des regards inquiets autour d’elle, elle n’avait pas oublié l’attaque du lynx, et comme elle doutait que ses compagnons actuels soient aussi doués que Mady en combat, elle préférait éviter les risques. Quant à la membre fantôme, elle passait la plupart du temps avec une expression neutre, comme si elle était ailleurs. Mais, de temps en temps, elle semblait se réveiller et ne pouvait pas s’empêcher de taquiner Clint.
Lorsqu’ils atteignirent finalement les premiers gros rochers qui marquaient le début des montagnes, ils décidèrent de faire une pause à l’ombre de l’un d’eux pour prendre leur repas du midi. Emy se sentit un peu à l’écart quand ses deux compagnons commencèrent à plaisanter à propos de choses qu’elle ne comprenait pas, mais la conversation dériva sur un terrain qu’elle connaissait bien : celui de leur mission.
« Alors on recherche des bots disparus ? demanda Izanami. C’est un genre de jeu de piste ?
-En quelques sortes, répondit Clint. On sait où ils disparaissent, et maintenant on va essayer de voir vers où et pourquoi.
-Je suis sûr que Scunindar l’a fait exprès, affirma Iza. Comme cette fois où il a caché des œufs de Pâques sur tout le site. Où quand il échangé volontairement les pseudos de tous les membres pour qu’ils cherchent qui avait hérité du leur sur le site.
-Tout le monde sait que le coup des pseudos était une erreur qu’il a essayé de camoufler comme il a pu avec cette histoire de jeu, Iza.
-Tu es sûr ? C’était vachement drôle. J’avais échangé avec Pichu Allstars, et Creatu lui a dit que pour une fois qu’elle changeait de pseudo, elle n’avait pas le bon.
-Scunindar a des problèmes avec le codage ? intervint la nouvelle. Ça pourrait expliquer pourquoi les bots disparaissent comme ça…
-Scuni est très bon, répondit Clint. C’est juste que tout le monde fait des erreurs parfois. Je crois même qu’il a participé au codage du système ERM, à l’époque où c’était encore des professionnels et des amateurs bénévoles qui s’en occupaient. »
Emy fut plutôt impressionnée. Le système ERM était basé sur les travaux du professeur Russel Albinson, éminent psychiatre anglais, et du professeur Per Lundgren, neurologiste visionnaire suédois. Aidés de nombreuses éminences scientifiques du monde entier, ils avaient réalisé de gigantesques progrès dans la compréhension du fonctionnement du cerveau et de l’esprit humain, permettant, à terme, d’en réaliser des « copies ». Dès que la partie « scientifique » du projet avait été achevée, des développeurs, codeurs, webmasters et autres experts en informatique du monde entier avaient commencé à travailler bénévolement et de façon coordonnée sur la création d’un système qui exploiterait ces découvertes, en se basant sur les technologies déjà existantes de la réalité virtuelle. Quand ils eurent suffisamment progressé, de grands groupes récupérèrent leurs travaux pour les mener à terme, grâce à l’argent qui faisait défaut aux volontaires pour achever le tout. Grâce à tous ces gens, une bonne partie de la population des pays développés pouvaient avoir accès au système ERM pour un prix très abordable, à peu près équivalent à celui des consoles de jeu dans le temps. Si Scuni en faisait effectivement partie, il venait de faire un bond phénoménal dans l’estime de la jeune femme.
Leur progression reprit, et plus ils avancèrent, et plus le relief devint accidenté, alors que la chaleur ne cessait d’augmenter. Les corps en sueur étaient endoloris et épuisés. La plupart des sites ERM n’imposaient pas ces contraintes physiques à leurs utilisateurs, et quand Capitaine SZM lui apprit que Scunindar les avait codées pour « rendre les explorations plus palpitantes », Emy s’était convaincue qu’elle avait définitivement la poisse.
Ils s’arrêtèrent aux alentours de 16 heures, essayant désespérément de reprendre leur souffle, tandis que l’air chaud leur brûlait la bouche. L’enquêtrice improvisée était sûre qu’elle pourrait avaler une citerne entière d’eau après ça.
« C’est encore loin ? demanda-t-elle.
-Nous sommes tout près de la zone où j’ai perdu les bots que j’ai réussi à suivre le plus loin, la rassura son guide. S’il y a des indices à trouver, ils seront là-bas.
-Tu n’as rien trouvé lorsque tu es venu auparavant ?
-Pas vraiment. J’ai préféré ne pas m’attarder seul dans ces montagnes, d’autant plus qu’il s’y passe des choses étranges.
-T’aurais pu me demander, mauviette, s’indigna Iza.
-J’aurai sûrement dû, oui », répondit Clint avec un sourire un peu triste.
Il se leva, fit craquer son dos, puis suggéra à ses compagnes de voyage de reprendre la route, s’ils voulaient avoir une chance de rentrer avant la nuit. Les deux autres approuvèrent, sachant à quel point lesdites nuits pouvaient être glacées. Ils supportèrent encore une demi-heure de marche avant d’arriver, et durant toute cette demi-heure, les deux anciens habitants de Thèmalin ne cessèrent d’échanger joyeusement, la membre fantôme semblant avoir retrouvé complètement son envie de discuter. Emy se sentant comme la cinquième roue du carrosse, Izanami ne lui ayant pas adressé la parole une seule fois depuis qu’elle s’était excusée dans sa maison, et Clint semblant bien trop émerveillé et heureux d’avoir « retrouvé » son amie pour s’intéresser à elle.
Une demi-heure plus tard, ils furent enfin en vue de ce que leur guide leur présenta comme étant leur objectif : une vallée, coincée entre trois gigantesques montagnes rocheuses au Nord, au Sud et à l’Ouest et une autre, beaucoup plus petite, à l’Est, à laquelle ils accédèrent par une piste sinueuse qui passait entre les montagnes de l’Ouest et du Sud. Le fond de la vallée était encombré d’énormes blocs de rocaille, victimes de l’érosion, et d’arbres morts et secs, et le chemin par lequel ils étaient arrivé faisait tout le tour de l’endroit à flanc des différentes formations rocheuses.
« C’est ici que j’ai perdu les bots, annonça Clint. J’ai cherché une grotte, ou quelque chose comme ça, mais rien de rien.
-Dans ce cas, il n’y a plus qu’à s’y mettre », décréta l’initiatrice de l’expédition en recommençant à avancer, tout en observant les anfractuosités de la roche qui auraient pu dissimuler une cavité.
Les trois explorateurs fouillèrent la vallée un moment, et bientôt le ciel s’embrasa avant de s’assombrir. Le froid remplaça la chaleur implacable, et il devint bien vite difficile de continuer les recherches, tant leurs membres étaient ankylosés. Ils décidèrent alors de mettre fin à leur exploration pour la journée et de monter le campement sur un promontoire par lequel ils étaient passés en arrivant. Ce fut un vrai soulagement quand un feu de camp commença à crépiter devant leurs tentes.
Étrangement, malgré leurs pérégrinations de la journée, Emy n’avait pas plus faim que d’habitude, et l’omelette rapidement cuite au-dessus du feu suffit à calmer les plaintes de son estomac.
Quelques minutes après que les campeurs eurent entassé leurs assiettes vides, un grognement sourd se fit pourtant entendre.
« T’es pas possible, Clint, s’énerva Iza. Tu viens tout juste de manger et tu gargouilles encore comme ça ! T’es un foutu ventre sur pattes ou quoi ?
-Hey, c’est pas moi, répliqua l’interpellé.
-Ben voyons, et c’est qui alors ?
-Pourquoi pas toi ? T’essayerais pas de maquiller tes propres gargouillements en accusant les autres, par le plus grand des hasards ?
-Ben voyons, comme si c’était mon genre de produire des… »
Alors que le ton montait entre les deux vieux amis, un autre bruit sourd se fit entendre, et Emy détermina que son origine était derrière elle. Elle se tourna lentement, pas rassurée, faisant apparaître son arme dans sa main, et découvrit une dizaine d’animaux, tous des prédateurs de bonne taille, disposés en arc de cercle derrière eux, à une centaine de mètres, d’une façon absolument pas naturelle.
« Heu… Clint… » commença-t-elle.
Devinant au ton de sa voix que quelque chose clochait, le Capitaine se retourna à son tour, imité par Izanami. Des armes de poings apparurent dans leur main dès qu’ils comprirent ce qui se passait. N’osant pas bouger, ils détaillèrent le groupe de bêtes qui leur faisait face, composé d’un mélange hétéroclite d’animaux réels et d’autres imaginaires, notamment issus d’univers des jeux vidéo ; il y avait un énorme ours brun, qui occupait la position centrale, encadré par une sorte de grand coyote, ou de loup, hirsute, au poil couleur sable, deux lynx encore plus gros que ceux qui les avaient attaqué elle et Mady, un énorme serpent, type boa-constrictor, dont la peau écailleuse était de la même couleur que le sol, une énorme Plante Piranha dont la tige émergeait du sol caillouteux, et quatre autres bêtes aux allures de chiens, qu’Emy reconnut comme étant des Malosses pour avoir joué un certain temps à Pokémon, plus jeune.
Leur comportement n’avait rien de naturel non plus. Soigneusement disposés en arc de cercle, équidistants les uns des autres, ils les fixaient avec intensité. Plus d’une minute, qui parut une heure, s’écoula sans que personne ne fasse rien. Puis, en une seconde et de façon totalement synchronisée, les prédateurs se jetèrent sur eux.
Le laps du temps qu’il leur fallut pour atteindre la proximité du feu permit tout juste aux membres de se lever. À peine levée, Emy dut repousser l’assaut d’un Malosse qui essaya de lui mordre le bras. Heureusement pour elle, ses crocs ne saisirent que le tissu de sa manche et elle se servit de l’élan pris par le Pokémon pour le rejeter plus loin. Elle n’eut pas le temps de s’en réjouir ; une vive douleur se fit ressentir dans jambe, et quand elle baissa les yeux pour en chercher l’origine, un autre Malosse se jeta sur elle et mordit cette fois-ci sont avant-bras gauche pour de bon. Par réflexe, elle secoua le bras pour faire lâcher prise au canidé, mais celui-ci raffermit sa prise, ce qui ne fit qu’augmenter la douleur ressentie. Elle se rendit compte par la même occasion que c’était un autre des chiens de feu qui s’était accroché à sa jambe.
Elle pointa son arme sur lui et tira, sans même y réfléchir, et l’horreur de son geste lui parvint quelques secondes après : elle venait de tirer à bout portant sur un chien. Un chien complètement virtuel et imaginaire, qui était en train de l’attaquer, mais un chien tout de même.
Celui qui s’en prenait à son bras relâcha sa prise quand le coup de feu se fit entendre, et Emy le projeta tout près de son premier assaillant, qui se relevait déjà et s’apprêtait à repartir à l’assaut. Elle pointa son arme sur eux et tira à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le « clic » de la gâchette, signalant un chargeur vide, se fasse entendre.
Une terrible nausée s’empara d’elle ; c’était la première fois qu’elle tirait sur quelque chose comme ça. Bien sûr, il y avait eu Izanami, quand elle croyait encore que c’était un fantôme meurtrier, mais elle croyait justement que c’était un fantôme, et Clint lui avait en plus expliqué que lui tirer dessus ne ferait que la neutraliser pour un moment. Il n’en allait sûrement pas de même pour les trois bêtes qu’elle venait d’abattre.
Elle resta un moment en suspens, bras le long du corps, arme vide dans la main, endolorie, comme séparée du bruit des combats et du crépitement indifférent des flammes.
« ATTENTION EMY ! » hurla une voix féminine qu’elle identifia comme appartenant à Iza.
Elle se retourna, et eu juste le temps de voir le dernier Malosse fendre les airs pour se saisir de sa gorge. Elle arrêta son mouvement in extremis avec son avant-bras ensanglanté, mais sa jambe blessée ne supporta pas le choc et ils roulèrent dans le sable. Quand ils stoppèrent, ils étaient à moins d’un mètre du feu de camp, et le Malosse la dominait, bien que relativement léger, car ses blessures l’empêchait de réagir correctement. Elle pouvait à peine retenir suffisamment le Pokémon pour que ses mâchoires ne se referment pas sur elle.
Réunissant ses dernières forces, elle projeta l’animal d’un coup de genou, et sans qu’elle sache si elle l’avait fait délibérément ou pas, elle l’envoya droit dans les flammes. Le Pokémon poussa un jappement, se débattit violemment, projetant des braises autour de lui, puis se tut. Cela tétanisa encore plus Emy, qui tenait son bras gauche désormais inerte le long de son flanc.
Elle pivota lentement sur elle-même, sentant le sol trembler, et, à quelques mètres, apparut l’imposante silhouette de l’ours brun qui chargeait droit sur elle.
Incapable de bouger un muscle, elle contempla simplement cette énorme masse de muscle qui allait finir le travail commencé par les quatre bêtes qu’elle avait mises à mort. Elle allait fermer les yeux pour ne pas voir la puissante patte de l’ursidé s’abattre sur elle, mais, au dernier, moment, la silhouette d’Izanami s’interposa entre eux, et elle vida le chargeur de son arme de poing vers la tête de l’animal monstrueux. Cela ne sembla pas avoir beaucoup d’effet et il projeta la déesse de la mort d’un violent revers de la patte avant droite. Iza roula un peu plus loin, soulevant un nuage de particules, et l’ours se détourna de sa route initiale pour se diriger vers son corps inanimé.
Comprenant qu’il allait s’en prendre à sa sauveuse, Emy fit la première chose qui lui passa par la tête : elle jeta son arme, désormais vide, aussi fort que possible vers la tête du monstre. Cela suffit à détourner son attention de la membre fantôme, à défaut de le blesser, et il reprit son parcours initial. Il n’y aurait probablement pas de deuxième intervention miraculeuse.
Mais sa bonne étoile devait être survitaminée, car, alors que l’ours n’était plus qu’à quelques mètres d’elle, une série de claquements sourds retentit, l’animal vacilla puis s’affala sur lui-même, inerte. N’osant croire à sa chance, Emy attendit qu’il se relève et reprenne sa route vers elle, mais il n’en fit rien. Dans les ténèbres, une voix masculine inconnue s’exclama :
« Carton plein ! J’ai gagné une peluche, ou quelque chose ? »
Puis ce fut de nouveau le silence, et la jeune femme put prendre le temps d’observer autour d’elle. Les corps inanimés des assaillants, vaguement éclairés par le feu, gisaient un peu partout. Aucun d’entre eux n’avait fui, ils avaient combattu jusqu’au dernier. Une preuve supplémentaire que leur comportement n’avait rien de naturel, s’il en fallait.
Elle vit la silhouette de Clint se dessiner dans l’ombre, de l’autre côté du feu, et se rappela soudainement d’Iza, qui n’avait toujours pas bougé. Elle courut vers elle, trainant sa jambe blessée, et tomba à genoux près d’elle, incapable de tenir debout plus longtemps. Sa sauveuse baignait dans son propre sang, le visage pâle. Emy ne perçut pas de respiration. Elle posa sa main sur son épaule, incapable de faire quoi que ce soit d’autre.
Capitaine SZM tomba à genoux à ses côtés et passa un bras rassurant autour de ses épaules.
« Tout va bien ? demanda-t-il.
-Elle… Elle va…
-Tout va bien Emy. On ne peut pas mourir ici, rappelle-toi.
-Oui… Mais tu es sûr… »
Elle n’arriva pas à continuer, et au même moment, le bruit caractéristique de quelqu’un dévalant une pente sablonneuse se fit entendre. Clint se retourna, Emy n’en eut même pas la force. Le bruit fut suivi d’un autre plus sourd et d’un « Et merde » prononcé par la même voix que tout à l’heure, qui fut suivi à son tour d’un rire masculin contenu, et d’un autre, féminin, à gorge déployée.
« Ho, ça va ! s’énerva la voix. Faites donc pareil, on verra si vous êtes si malins. »
Il y eu un autre bruit de glissade, et un autre bruit de chute, encore plus violent.
« Alors, qui c’est qui a l’air con maintenant ?
-Oh, ça va, ça va, répliqua la seconde voix masculine.
-Bon, passons aux choses sérieuses. Mains en l’air les enfants, pas la peine de rendre les choses plus compliquées qu’elles ne le sont déjà. »
La sommation fut suivie du bruit métallique de manœuvre d’une culasse. Clint se leva maladroitement, et Emy remarqua qu’une large entaille marquait son flanc droit au niveau du ventre.
« Hé ben voilà, on les a trouvés nos hackers, lança la première voix.
-T’es vraiment débile, ma parole, répliqua l’autre. Tu as déjà oublié la lettre de Phil ? Ça doit être une d’entre elles.
-Koop, Yoyo, c’est moi », intervint Clint.
Il s’approcha d’eux, et quand son visage apparut à la lueur des flammes, la première voix s’exclama :
« Capitaine ? C’est toi ? La vache, j’aurais jamais cru que tu te serais reconverti dans le hacking !
-Je suis autant un hacker que toi, gros malin. On cherche les bots disparus. »
Emy parvint finalement à tourner la tête. Les silhouettes de deux hommes se tenaient à la lumière du feu, le premier pointant une AK-47 vers elle et Clint. Cela lui rappela vaguement qu’on lui avait parlé quelque part de quelqu’un utilisant une arme de ce genre, ce qui l’avait étonnée, mais dans son état, elle ne parvint pas à clarifier ses pensées.
« Vous n’êtes vraiment pas très malins, lança la voix féminine, qui venait, elle, de devant Emy. Il y avait une pente beaucoup plus douce par ici. »
Elle aperçut Emy qui commençait à piquer du nez.
« Hé, ça va ? » lança-t-elle.
Pas de réponse. Emy se sentit tomber en avant, sa chute fut arrêtée au dernier moment par l’inconnue qui la soutint, et elle perdit connaissance.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle sentit que son corps engourdi était recouvert par une couverture chaude, près du feu. Au-dessus d’elle, la lune était au milieu de sa course dans le ciel nocturne piqueté d’étoiles. Curieusement, la douleur semblait avoir complètement disparue.
Elle cligna des yeux, clarifiant sa vision, et balaya les alentours du regard en évitant autant que possible de bouger la tête.
De l’autre côté du brasier, deux inconnus, une femme et un homme, étaient plongés dans une discussion très animée, pour ne pas dire une dispute à couteaux tirés. Près d’eux, une autre forme activait le feu avec une longue branche, et une quatrième était assise juste à côté d’elle. Enfin, tout près de la jeune femme couchée, les cheveux bruns d’Iza dépassaient d’une couverture.
Emy n’avait retenu qu’une chose : la situation avant son évanouissement était franchement tendue. Aussi, elle décida de ne pas bouger avant de s’être assurée que tout allait bien. À force d’attendre, enroulée dans sa couverture, réchauffée par les flammes, elle finit par se rendormir.
Lorsqu’elle se réveilla, la lune avait beaucoup progressé dans le ciel, et elle devina donc qu’elle avait dormi un bon moment. Le feu était moins vif qu’avant, et la chaleur et la lumière qu’il apportait étaient amoindris. Izanami était assise les genoux encerclés par ses bras, contemplant les derniers soubresauts de vie du brasier. Emy se leva et, surprise de nouveau par l’engourdissement, elle faillit s’étaler par terre à peine debout. Elle arriva néanmoins à atteindre l’énorme tronc d’arbre mort qui faisait office de banc improvisé, et à s’y asseoir. Pendant plusieurs minutes, les deux jeunes femmes n’échangèrent pas un mot, puis la membre fantôme finit par briser le silence ;
« Alors, ça va ?
-Oui, merci… Je n’ai plus du tout mal.
-C’est normal, ils ont dû te donner une boule de soin, à toi aussi.
-Et toi, ça va ? J’ai eu sacrément peur… Je veux dire, avec l’ours…
-T’inquiètes pas pour ça, on ne peut pas mourir, tu sais. J’en ai été quitte pour un gros bobo et une ou deux cicatrices.
-Merci beaucoup, tu m’as sûrement sauvé la mise…
-Aucun doute là-dessus. Si je n’avais pas été là, cette bestiole aurait fait de toi son quatre-heures. »
Emy crut qu’il s’agissait d’un reproche à son incapacité au combat, mais elle perçut un sourire sur les lèvres de son interlocutrice. Elle prit son courage à deux mains et posa la question qui la turlupinait depuis son réveil.
« Je te remercie vraiment, parce que… Enfin, j’ai été un peu stupide. Je croyais que tu ne m’aimais pas beaucoup. Tu ne m’as pour ainsi dire pas adressée la parole pendant tout le trajet.
-Ouais, désolée pour ça, je suis pas très douée pour ouvrir la conversation avec des inconnus. Surtout depuis quelques semaines d’ailleurs. J’ai l’impression de ne plus avoir d’envie pour rien, parfois. »
Le silence reprit ses droits, Emy n’ayant aucune envie de lui annoncer que c’était peut-être parce qu’elle était morte dans le monde réel. Elle fixa un moment la brune, essayant de chercher des signes qui la différencierait d’un membre normal. Izanami s’en aperçut et lui lança d’un ton bourru :
« Pourquoi tu me fixes comme ça ? Si t’es lesbienne, je te le dis tout de suite, je suis pas intéressée.
-Ce n’est pas ça… C’est juste… Je ne m’attendais pas à ce qu’une fan de Miyazaki soit du genre… Je ne sais pas, à parler comme ça par exemple.
-Je devrais être une petite fleur bleue parce que j’aime la bonne animation, c’est ça ? J’ai peut-être été comme ça un peu plus jeune, mais c’est bien fini.
-Et… C’est lequel, ton Miyazaki préféré, alors ? »
Emy crut percevoir une lueur d’intérêt et de joie passer dans le regard de sa sauveuse quand elle lui posa cette question, et la conversation dériva. Elle aurait bien aimé lui poser quelques questions sur les personnes qui étaient intervenues tout à l’heure, sur ce qui s’était passé pendant son inconscience et sur ce qui était prévu ensuite, sans parler de toutes ses interrogations sur le comportement complètement anormal des animaux et créatures imaginaires qui les avaient attaqués, mais elle ne voulut pas gâcher son rapprochement avec Iza.
Elle évita autant que possible de regarder dans la direction du feu, car sa vision lui rappelait qu’elle y avait projeté un être vivant, ou presque, quelques heures auparavant.
Profitant du climat tempéré qui régnait à Thèmalin en ce début d’après-midi, et qui contrastait avec celui qu’elle avait connu ces derniers temps, une jeune femme parcourait les rues du village, désormais privé de ses trois uniques « véritables » habitants, contemplant les bâtiments à l’architecture si inhabituelle. Elle s’arrêta au milieu d’une place, fit apparaître un écran d’appel sur son Pad. Le destinataire répondit après deux sonneries :
« Ah, Ouaneup ! Comment trouves-tu Thèmalin ? J’ai pris beaucoup de plaisir à le créer, celui-là.
-Très très sympa, Phil, abrégea Ouaneup, qui n’avait manifestement pas envie de s’étendre sur le génie urbain. La nouvelle est partie il y a un petit moment vers les montagnes de l’Est.
-Déjà ? s’amusa Scunindar. Je me doutais bien qu’elle finirait par y aller à un moment ou un autre, mais je pensais qu’elle prendrait le temps de s’installer un peu tout de même avant.
-Et c’est pas le plus fort. Capitaine SZM est avec elle, et surtout cette fille, Izanami.
-Ah ?
-Oui, et sans qu’ils n’aient eu besoin de la forcer, ou quoi que ce soit. Tu trouves pas ça étrange ? »
Il ne répondit pas, et enchaîna aussitôt sur ses instructions :
« Continue ta mission de ton côté, s’il te plaît. Je devais justement envoyer un Albatoss à Yoyo et Koop pour les prévenir de l’arrivée d’une nouvelle dans votre groupe d’enquête. Il va falloir surveiller tout ça.
-Ok, mais tu m’en devras une après tout ça, la chaleur est infernale dans le coin. »
Elle raccrocha, puis contempla le vaste ciel bleu parcourut par quelques nuages blancs solitaires. Tout avait l’air de partir de travers.
Pour ne plus avoir à y penser, une fois dans sa chambre, elle s’effondra sur son lit, contemplant le plafond, tout en réfléchissant à son enquête. Le témoignage de Clint était précieux : les bots ne disparaissaient pas littéralement, mais ils partaient d’eux-mêmes vers les montagnes de l’Est, où on perdait leur trace. Restait à savoir ce qui les poussait à le faire. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de bug qui les poussait à tous se rendre à un même endroit, mais peut-être aussi que quelqu’un se cachait derrière cette étrange instruction. « Scunindar et les modérateurs doivent déjà être au courant, ils sillonnent déjà les montagnes de l’Est », pensa-t-elle. D’un autre côté, aller voir elle-même ne coûterait rien.
Emy avala son diner avant d’aller dormir exceptionnellement tôt. Elle avait beau essayer de se convaincre que c’était pour être en forme pour ses recherches le lendemain, elle savait pertinemment que c’était surtout pour ne plus avoir à penser aux évènements du jour.
Le lendemain matin, elle petit déjeuna rapidement et se mit aussitôt en route pour la maison de Clint. Elle fit quelques pas dans la rue avant de se rendre compte qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où il vivait. Se voyant mal taper à toutes les portes les unes après les autres, sachant que le village comptait au moins un cinquantaine de demeures, elle se décida à faire la seule chose logique dans cette situation : aller dans la maison d’Izanami.
Elle trouva la grille ouverte et y entra, retrouvant le même jardin que la veille. Elle se dirigea vers la porte coulissante et, ne sachant pas trop comment attirer l’attention des occupants d’un bâtiment pareil, elle toqua sur un linteau en bois sombre. À la vue d’Izanami, qui vint aussitôt lui ouvrir, sa gorge se serra, mais elle fit son possible pour faire abstraction.
« Bonjour, Izanami, déclara-t-elle en essayant autant que possible de faire bonne figure.
-Bonjour… Emy, c’est ça ? Je peux t’aider ?
-Heu… Oui. Je cherche Clint.
-Ah, pourquoi, il n’est pas chez lui ?
-En fait… Je ne sais pas où c’est, chez lui. »
La membre fantôme la regarda un moment, puis un demi-sourire apparut sur son visage.
« Allez, entre boire un verre, je vais l’appeler. »
Emy suivit Iza à l’intérieur, et remarqua était beaucoup plus accueillant que lors de sa première visite, notamment parce que la lumière filtrait normalement à travers le papier des murs. À vrai dire, même les boiseries semblaient plus claires. Son hôtesse l’emmena jusqu’à sa salle à manger, et elle se retrouva à genoux sur un coussin devant une table basse, un verre de jus d’orange devant elle. Pendant qu’elle buvait, Izanami activa son Pad et écrivit rapidement un message.
« Il ne devrait pas tarder, annonça-t-elle.
-Merci, répondit simplement son invitée.
-Alors, pourquoi tu as besoin de voir le capitaine aussi tôt ?
-Le capitaine ?
-Ah, je vois, il t’a fait le coup de « appelez-moi Clint gnagnagnagna ». Comme s’il pouvait cacher ça bien longtemps alors que n’importe qui qui prend la peine de le scanner voit son vrai pseudo. Et alors, en quoi il peut se rendre utile ?
-J’ai besoin de lui pour qu’il me guide dans les montagnes de l’Est », expliqua Emy.
Pendant toute la conversation, elle n’avait pas pu s’empêcher d’éviter le regard de son interlocutrice. Celle-ci l’avait remarqué, et au bout d’un moment, laissant éclater son agacement, elle lança :
« Bon, très bien, je vois ce qui te tracasse avec moi.
-De… Pardon ?
-Ne joue pas l’innocente, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Tu m’en veux encore pour hier. Je suis désolée, d’accord ?
-Ah, d’accord… C’était rien, en fait, c’était même plutôt amusant.
-Je le savais ! SZM avait peur qu’on y ait été un peu fort, mais c’était plutôt sympa en définitive, non ?
-Oui, assez… »
S’ensuivit un silence gêné.
« Et pourquoi les montagnes de l’Est ? C’est pas vraiment le genre d’endroit rêvé pour une randonnée…
-J’ai quelques chose à vérifier.
-Oh… »
Nouveau silence. Comprenant que son invitée n’avait pas très envie de discuter, Iza n’insista pas. Heureusement, Clint arriva à la rescousse. Il fit la bise à Izanami puis serra la main d’Emy.
« Je peux t’aider ? demanda-t-il immédiatement.
-C’est à propos de ce dont on a discuté hier. J’aimerai que tu m’accompagnes aujourd’hui. Je pense que plus vite on s’y mettra et plus on aura de chances de trouver ce qu’on cherche.
-Ça se tient.
-Qu’est-ce que vous allez faire, exactement, dans les montagnes de l’Est ? intervint Iza.
-Tu as remarqué que des bots avaient disparu dans le village, n’est-ce pas ? répondit son ami. On va essayer de trouver ce qui leur est arrivé.
-D’accord… »
Elle se leva et partit dans la pièce à côté, sans qu’aucun des deux autres ne comprenne exactement pourquoi. Ils enchaînèrent sur les préparatifs de leur expédition : tenue adaptée au désert, provisions et eau, nécessaire de camping, armes et tout un tas d’autres choses. Heureusement pour eux, tout était accessible depuis leur Pad.
Quand ils eurent fini, à leur grande surprise, leur hôtesse réapparut dans l’encadrement de la porte par laquelle elle était sortie, en tenue désertique, large sourire aux lèvres.
« Iza, qu’est-ce que tu… s’étonna Clint.
-Je viens avec vous, bien sûr ! On ne sera pas trop de trois pour affronter ces tas de caillasses, et surtout l’ennui mortel qui y règne. En plus, j’ai bien envie de savoir ce que sont devenus ces bots, moi aussi. »
Clint ne dis rien pendant un moment.
« Quelque chose ne va pas ? finit par demander la membre fantôme. Si tu veux pas que je vienne, dis-le tout de suite…
-Bien sûr que si, Iza. Tu as raison, on ne sera pas trop de trois. On finit de se préparer, et c’est parti. »
Une demi-heure plus tard, ils étaient réunis devant la grande maison qui avait été le théâtre de l’épisode horrifique du jour précédent, en tenue adaptée aux conditions désertiques, sacs sur le dos, lunettes de soleil sur le nez, et armes à portée de main grâce au système des favoris.
« Je vais vérifier que je n’ai rien oublié avant de partir », lança Izanami avant de regagner l’intérieur de sa demeure pour quelques minutes.
Emy décida d’en profiter pour parler un peu à Clint. Depuis qu’il avait appris que sa vieille amie et voisine allait les accompagner, il avait gardé le regard préoccupé et absent des gens plongés dans leurs réflexions. La nouvelle sentait pourquoi, car elle se doutait qu’il y avait quelque chose de perturbant à voir une membre fantôme censée être plus ou moins privée de volonté propre décider soudainement de les accompagner.
« Qu’est-ce qui se passe, quelque chose te tracasse ?
-Emy, c’est… C’est la première fois qu’Iza va quitter le village depuis des semaines ! Normalement, plus le temps passe et moins un membre fantôme est actif, pas l’inverse !
-Tu es sûr… Il y a peut-être des exceptions, ou…
-Je n’ai jamais entendu parler d’exceptions ! Peut-être que… Tout n’est pas fini en fin de compte…
-Je l’espère vraiment pour toi, Clint », lui assura sa nouvelle amie avec un léger sourire.
L’objet de leur conversation revint peu après, et ils se lancèrent sans attendre. Le sourire du seul homme du groupe lui parut plus sincère que jamais.
Ils quittèrent la ville, et devant eux s’étalèrent des rizières dont l’eau stagnante dégageait une agréable fraicheur. Au loin, leur destination, les immenses montagnes ocre de l’Est, semblait les défier. Après une demi-heure de marche, les rizières verdoyantes commencèrent à céder leur place à du sable fin, accompagné d’une chaleur implacable. Emy commença vraiment à regretter de ne pas avoir pris son cheval quand la sensation de sueur collant sur sa peau commença à se faire sentir, mais Clint lui avait expliqué que les chevaux étant aussi des bots, en emmener aurait été risqué : ils auraient pu les abandonner au milieu de nulle part, voire se retourner contre eux si la personne à l’origine de tout ça avait préféré éviter qu’on fouine dans ses affaires. Et pour couronner, leur destination était difficilement praticable pour des montures.
Les trois « aventuriers » marchaient les uns à côté des autres. Clint, au centre, consultait à intervalles réguliers la carte intégrée à son Pad pour s’assurer qu’ils étaient dans la bonne direction, car le chemin, devenu une simple piste, avait finis par disparaître dans le méandre des dunes. Pour couronner le tout, il avait expliqué à celle qu’il guidait que les montagnes de l’Est n’apparaissaient pas sur les cartes, comme d’autres lieux de LMDM, pour que les explorateurs en herbe puissent s’en donner à cœur joie. À sa droite, l’initiatrice de l’expédition jetait sans arrêt des regards inquiets autour d’elle, elle n’avait pas oublié l’attaque du lynx, et comme elle doutait que ses compagnons actuels soient aussi doués que Mady en combat, elle préférait éviter les risques. Quant à la membre fantôme, elle passait la plupart du temps avec une expression neutre, comme si elle était ailleurs. Mais, de temps en temps, elle semblait se réveiller et ne pouvait pas s’empêcher de taquiner Clint.
Lorsqu’ils atteignirent finalement les premiers gros rochers qui marquaient le début des montagnes, ils décidèrent de faire une pause à l’ombre de l’un d’eux pour prendre leur repas du midi. Emy se sentit un peu à l’écart quand ses deux compagnons commencèrent à plaisanter à propos de choses qu’elle ne comprenait pas, mais la conversation dériva sur un terrain qu’elle connaissait bien : celui de leur mission.
« Alors on recherche des bots disparus ? demanda Izanami. C’est un genre de jeu de piste ?
-En quelques sortes, répondit Clint. On sait où ils disparaissent, et maintenant on va essayer de voir vers où et pourquoi.
-Je suis sûr que Scunindar l’a fait exprès, affirma Iza. Comme cette fois où il a caché des œufs de Pâques sur tout le site. Où quand il échangé volontairement les pseudos de tous les membres pour qu’ils cherchent qui avait hérité du leur sur le site.
-Tout le monde sait que le coup des pseudos était une erreur qu’il a essayé de camoufler comme il a pu avec cette histoire de jeu, Iza.
-Tu es sûr ? C’était vachement drôle. J’avais échangé avec Pichu Allstars, et Creatu lui a dit que pour une fois qu’elle changeait de pseudo, elle n’avait pas le bon.
-Scunindar a des problèmes avec le codage ? intervint la nouvelle. Ça pourrait expliquer pourquoi les bots disparaissent comme ça…
-Scuni est très bon, répondit Clint. C’est juste que tout le monde fait des erreurs parfois. Je crois même qu’il a participé au codage du système ERM, à l’époque où c’était encore des professionnels et des amateurs bénévoles qui s’en occupaient. »
Emy fut plutôt impressionnée. Le système ERM était basé sur les travaux du professeur Russel Albinson, éminent psychiatre anglais, et du professeur Per Lundgren, neurologiste visionnaire suédois. Aidés de nombreuses éminences scientifiques du monde entier, ils avaient réalisé de gigantesques progrès dans la compréhension du fonctionnement du cerveau et de l’esprit humain, permettant, à terme, d’en réaliser des « copies ». Dès que la partie « scientifique » du projet avait été achevée, des développeurs, codeurs, webmasters et autres experts en informatique du monde entier avaient commencé à travailler bénévolement et de façon coordonnée sur la création d’un système qui exploiterait ces découvertes, en se basant sur les technologies déjà existantes de la réalité virtuelle. Quand ils eurent suffisamment progressé, de grands groupes récupérèrent leurs travaux pour les mener à terme, grâce à l’argent qui faisait défaut aux volontaires pour achever le tout. Grâce à tous ces gens, une bonne partie de la population des pays développés pouvaient avoir accès au système ERM pour un prix très abordable, à peu près équivalent à celui des consoles de jeu dans le temps. Si Scuni en faisait effectivement partie, il venait de faire un bond phénoménal dans l’estime de la jeune femme.
Leur progression reprit, et plus ils avancèrent, et plus le relief devint accidenté, alors que la chaleur ne cessait d’augmenter. Les corps en sueur étaient endoloris et épuisés. La plupart des sites ERM n’imposaient pas ces contraintes physiques à leurs utilisateurs, et quand Capitaine SZM lui apprit que Scunindar les avait codées pour « rendre les explorations plus palpitantes », Emy s’était convaincue qu’elle avait définitivement la poisse.
Ils s’arrêtèrent aux alentours de 16 heures, essayant désespérément de reprendre leur souffle, tandis que l’air chaud leur brûlait la bouche. L’enquêtrice improvisée était sûre qu’elle pourrait avaler une citerne entière d’eau après ça.
« C’est encore loin ? demanda-t-elle.
-Nous sommes tout près de la zone où j’ai perdu les bots que j’ai réussi à suivre le plus loin, la rassura son guide. S’il y a des indices à trouver, ils seront là-bas.
-Tu n’as rien trouvé lorsque tu es venu auparavant ?
-Pas vraiment. J’ai préféré ne pas m’attarder seul dans ces montagnes, d’autant plus qu’il s’y passe des choses étranges.
-T’aurais pu me demander, mauviette, s’indigna Iza.
-J’aurai sûrement dû, oui », répondit Clint avec un sourire un peu triste.
Il se leva, fit craquer son dos, puis suggéra à ses compagnes de voyage de reprendre la route, s’ils voulaient avoir une chance de rentrer avant la nuit. Les deux autres approuvèrent, sachant à quel point lesdites nuits pouvaient être glacées. Ils supportèrent encore une demi-heure de marche avant d’arriver, et durant toute cette demi-heure, les deux anciens habitants de Thèmalin ne cessèrent d’échanger joyeusement, la membre fantôme semblant avoir retrouvé complètement son envie de discuter. Emy se sentant comme la cinquième roue du carrosse, Izanami ne lui ayant pas adressé la parole une seule fois depuis qu’elle s’était excusée dans sa maison, et Clint semblant bien trop émerveillé et heureux d’avoir « retrouvé » son amie pour s’intéresser à elle.
Une demi-heure plus tard, ils furent enfin en vue de ce que leur guide leur présenta comme étant leur objectif : une vallée, coincée entre trois gigantesques montagnes rocheuses au Nord, au Sud et à l’Ouest et une autre, beaucoup plus petite, à l’Est, à laquelle ils accédèrent par une piste sinueuse qui passait entre les montagnes de l’Ouest et du Sud. Le fond de la vallée était encombré d’énormes blocs de rocaille, victimes de l’érosion, et d’arbres morts et secs, et le chemin par lequel ils étaient arrivé faisait tout le tour de l’endroit à flanc des différentes formations rocheuses.
« C’est ici que j’ai perdu les bots, annonça Clint. J’ai cherché une grotte, ou quelque chose comme ça, mais rien de rien.
-Dans ce cas, il n’y a plus qu’à s’y mettre », décréta l’initiatrice de l’expédition en recommençant à avancer, tout en observant les anfractuosités de la roche qui auraient pu dissimuler une cavité.
Les trois explorateurs fouillèrent la vallée un moment, et bientôt le ciel s’embrasa avant de s’assombrir. Le froid remplaça la chaleur implacable, et il devint bien vite difficile de continuer les recherches, tant leurs membres étaient ankylosés. Ils décidèrent alors de mettre fin à leur exploration pour la journée et de monter le campement sur un promontoire par lequel ils étaient passés en arrivant. Ce fut un vrai soulagement quand un feu de camp commença à crépiter devant leurs tentes.
Étrangement, malgré leurs pérégrinations de la journée, Emy n’avait pas plus faim que d’habitude, et l’omelette rapidement cuite au-dessus du feu suffit à calmer les plaintes de son estomac.
Quelques minutes après que les campeurs eurent entassé leurs assiettes vides, un grognement sourd se fit pourtant entendre.
« T’es pas possible, Clint, s’énerva Iza. Tu viens tout juste de manger et tu gargouilles encore comme ça ! T’es un foutu ventre sur pattes ou quoi ?
-Hey, c’est pas moi, répliqua l’interpellé.
-Ben voyons, et c’est qui alors ?
-Pourquoi pas toi ? T’essayerais pas de maquiller tes propres gargouillements en accusant les autres, par le plus grand des hasards ?
-Ben voyons, comme si c’était mon genre de produire des… »
Alors que le ton montait entre les deux vieux amis, un autre bruit sourd se fit entendre, et Emy détermina que son origine était derrière elle. Elle se tourna lentement, pas rassurée, faisant apparaître son arme dans sa main, et découvrit une dizaine d’animaux, tous des prédateurs de bonne taille, disposés en arc de cercle derrière eux, à une centaine de mètres, d’une façon absolument pas naturelle.
« Heu… Clint… » commença-t-elle.
Devinant au ton de sa voix que quelque chose clochait, le Capitaine se retourna à son tour, imité par Izanami. Des armes de poings apparurent dans leur main dès qu’ils comprirent ce qui se passait. N’osant pas bouger, ils détaillèrent le groupe de bêtes qui leur faisait face, composé d’un mélange hétéroclite d’animaux réels et d’autres imaginaires, notamment issus d’univers des jeux vidéo ; il y avait un énorme ours brun, qui occupait la position centrale, encadré par une sorte de grand coyote, ou de loup, hirsute, au poil couleur sable, deux lynx encore plus gros que ceux qui les avaient attaqué elle et Mady, un énorme serpent, type boa-constrictor, dont la peau écailleuse était de la même couleur que le sol, une énorme Plante Piranha dont la tige émergeait du sol caillouteux, et quatre autres bêtes aux allures de chiens, qu’Emy reconnut comme étant des Malosses pour avoir joué un certain temps à Pokémon, plus jeune.
Leur comportement n’avait rien de naturel non plus. Soigneusement disposés en arc de cercle, équidistants les uns des autres, ils les fixaient avec intensité. Plus d’une minute, qui parut une heure, s’écoula sans que personne ne fasse rien. Puis, en une seconde et de façon totalement synchronisée, les prédateurs se jetèrent sur eux.
Le laps du temps qu’il leur fallut pour atteindre la proximité du feu permit tout juste aux membres de se lever. À peine levée, Emy dut repousser l’assaut d’un Malosse qui essaya de lui mordre le bras. Heureusement pour elle, ses crocs ne saisirent que le tissu de sa manche et elle se servit de l’élan pris par le Pokémon pour le rejeter plus loin. Elle n’eut pas le temps de s’en réjouir ; une vive douleur se fit ressentir dans jambe, et quand elle baissa les yeux pour en chercher l’origine, un autre Malosse se jeta sur elle et mordit cette fois-ci sont avant-bras gauche pour de bon. Par réflexe, elle secoua le bras pour faire lâcher prise au canidé, mais celui-ci raffermit sa prise, ce qui ne fit qu’augmenter la douleur ressentie. Elle se rendit compte par la même occasion que c’était un autre des chiens de feu qui s’était accroché à sa jambe.
Elle pointa son arme sur lui et tira, sans même y réfléchir, et l’horreur de son geste lui parvint quelques secondes après : elle venait de tirer à bout portant sur un chien. Un chien complètement virtuel et imaginaire, qui était en train de l’attaquer, mais un chien tout de même.
Celui qui s’en prenait à son bras relâcha sa prise quand le coup de feu se fit entendre, et Emy le projeta tout près de son premier assaillant, qui se relevait déjà et s’apprêtait à repartir à l’assaut. Elle pointa son arme sur eux et tira à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le « clic » de la gâchette, signalant un chargeur vide, se fasse entendre.
Une terrible nausée s’empara d’elle ; c’était la première fois qu’elle tirait sur quelque chose comme ça. Bien sûr, il y avait eu Izanami, quand elle croyait encore que c’était un fantôme meurtrier, mais elle croyait justement que c’était un fantôme, et Clint lui avait en plus expliqué que lui tirer dessus ne ferait que la neutraliser pour un moment. Il n’en allait sûrement pas de même pour les trois bêtes qu’elle venait d’abattre.
Elle resta un moment en suspens, bras le long du corps, arme vide dans la main, endolorie, comme séparée du bruit des combats et du crépitement indifférent des flammes.
« ATTENTION EMY ! » hurla une voix féminine qu’elle identifia comme appartenant à Iza.
Elle se retourna, et eu juste le temps de voir le dernier Malosse fendre les airs pour se saisir de sa gorge. Elle arrêta son mouvement in extremis avec son avant-bras ensanglanté, mais sa jambe blessée ne supporta pas le choc et ils roulèrent dans le sable. Quand ils stoppèrent, ils étaient à moins d’un mètre du feu de camp, et le Malosse la dominait, bien que relativement léger, car ses blessures l’empêchait de réagir correctement. Elle pouvait à peine retenir suffisamment le Pokémon pour que ses mâchoires ne se referment pas sur elle.
Réunissant ses dernières forces, elle projeta l’animal d’un coup de genou, et sans qu’elle sache si elle l’avait fait délibérément ou pas, elle l’envoya droit dans les flammes. Le Pokémon poussa un jappement, se débattit violemment, projetant des braises autour de lui, puis se tut. Cela tétanisa encore plus Emy, qui tenait son bras gauche désormais inerte le long de son flanc.
Elle pivota lentement sur elle-même, sentant le sol trembler, et, à quelques mètres, apparut l’imposante silhouette de l’ours brun qui chargeait droit sur elle.
Incapable de bouger un muscle, elle contempla simplement cette énorme masse de muscle qui allait finir le travail commencé par les quatre bêtes qu’elle avait mises à mort. Elle allait fermer les yeux pour ne pas voir la puissante patte de l’ursidé s’abattre sur elle, mais, au dernier, moment, la silhouette d’Izanami s’interposa entre eux, et elle vida le chargeur de son arme de poing vers la tête de l’animal monstrueux. Cela ne sembla pas avoir beaucoup d’effet et il projeta la déesse de la mort d’un violent revers de la patte avant droite. Iza roula un peu plus loin, soulevant un nuage de particules, et l’ours se détourna de sa route initiale pour se diriger vers son corps inanimé.
Comprenant qu’il allait s’en prendre à sa sauveuse, Emy fit la première chose qui lui passa par la tête : elle jeta son arme, désormais vide, aussi fort que possible vers la tête du monstre. Cela suffit à détourner son attention de la membre fantôme, à défaut de le blesser, et il reprit son parcours initial. Il n’y aurait probablement pas de deuxième intervention miraculeuse.
Mais sa bonne étoile devait être survitaminée, car, alors que l’ours n’était plus qu’à quelques mètres d’elle, une série de claquements sourds retentit, l’animal vacilla puis s’affala sur lui-même, inerte. N’osant croire à sa chance, Emy attendit qu’il se relève et reprenne sa route vers elle, mais il n’en fit rien. Dans les ténèbres, une voix masculine inconnue s’exclama :
« Carton plein ! J’ai gagné une peluche, ou quelque chose ? »
Puis ce fut de nouveau le silence, et la jeune femme put prendre le temps d’observer autour d’elle. Les corps inanimés des assaillants, vaguement éclairés par le feu, gisaient un peu partout. Aucun d’entre eux n’avait fui, ils avaient combattu jusqu’au dernier. Une preuve supplémentaire que leur comportement n’avait rien de naturel, s’il en fallait.
Elle vit la silhouette de Clint se dessiner dans l’ombre, de l’autre côté du feu, et se rappela soudainement d’Iza, qui n’avait toujours pas bougé. Elle courut vers elle, trainant sa jambe blessée, et tomba à genoux près d’elle, incapable de tenir debout plus longtemps. Sa sauveuse baignait dans son propre sang, le visage pâle. Emy ne perçut pas de respiration. Elle posa sa main sur son épaule, incapable de faire quoi que ce soit d’autre.
Capitaine SZM tomba à genoux à ses côtés et passa un bras rassurant autour de ses épaules.
« Tout va bien ? demanda-t-il.
-Elle… Elle va…
-Tout va bien Emy. On ne peut pas mourir ici, rappelle-toi.
-Oui… Mais tu es sûr… »
Elle n’arriva pas à continuer, et au même moment, le bruit caractéristique de quelqu’un dévalant une pente sablonneuse se fit entendre. Clint se retourna, Emy n’en eut même pas la force. Le bruit fut suivi d’un autre plus sourd et d’un « Et merde » prononcé par la même voix que tout à l’heure, qui fut suivi à son tour d’un rire masculin contenu, et d’un autre, féminin, à gorge déployée.
« Ho, ça va ! s’énerva la voix. Faites donc pareil, on verra si vous êtes si malins. »
Il y eu un autre bruit de glissade, et un autre bruit de chute, encore plus violent.
« Alors, qui c’est qui a l’air con maintenant ?
-Oh, ça va, ça va, répliqua la seconde voix masculine.
-Bon, passons aux choses sérieuses. Mains en l’air les enfants, pas la peine de rendre les choses plus compliquées qu’elles ne le sont déjà. »
La sommation fut suivie du bruit métallique de manœuvre d’une culasse. Clint se leva maladroitement, et Emy remarqua qu’une large entaille marquait son flanc droit au niveau du ventre.
« Hé ben voilà, on les a trouvés nos hackers, lança la première voix.
-T’es vraiment débile, ma parole, répliqua l’autre. Tu as déjà oublié la lettre de Phil ? Ça doit être une d’entre elles.
-Koop, Yoyo, c’est moi », intervint Clint.
Il s’approcha d’eux, et quand son visage apparut à la lueur des flammes, la première voix s’exclama :
« Capitaine ? C’est toi ? La vache, j’aurais jamais cru que tu te serais reconverti dans le hacking !
-Je suis autant un hacker que toi, gros malin. On cherche les bots disparus. »
Emy parvint finalement à tourner la tête. Les silhouettes de deux hommes se tenaient à la lumière du feu, le premier pointant une AK-47 vers elle et Clint. Cela lui rappela vaguement qu’on lui avait parlé quelque part de quelqu’un utilisant une arme de ce genre, ce qui l’avait étonnée, mais dans son état, elle ne parvint pas à clarifier ses pensées.
« Vous n’êtes vraiment pas très malins, lança la voix féminine, qui venait, elle, de devant Emy. Il y avait une pente beaucoup plus douce par ici. »
Elle aperçut Emy qui commençait à piquer du nez.
« Hé, ça va ? » lança-t-elle.
Pas de réponse. Emy se sentit tomber en avant, sa chute fut arrêtée au dernier moment par l’inconnue qui la soutint, et elle perdit connaissance.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle sentit que son corps engourdi était recouvert par une couverture chaude, près du feu. Au-dessus d’elle, la lune était au milieu de sa course dans le ciel nocturne piqueté d’étoiles. Curieusement, la douleur semblait avoir complètement disparue.
Elle cligna des yeux, clarifiant sa vision, et balaya les alentours du regard en évitant autant que possible de bouger la tête.
De l’autre côté du brasier, deux inconnus, une femme et un homme, étaient plongés dans une discussion très animée, pour ne pas dire une dispute à couteaux tirés. Près d’eux, une autre forme activait le feu avec une longue branche, et une quatrième était assise juste à côté d’elle. Enfin, tout près de la jeune femme couchée, les cheveux bruns d’Iza dépassaient d’une couverture.
Emy n’avait retenu qu’une chose : la situation avant son évanouissement était franchement tendue. Aussi, elle décida de ne pas bouger avant de s’être assurée que tout allait bien. À force d’attendre, enroulée dans sa couverture, réchauffée par les flammes, elle finit par se rendormir.
Lorsqu’elle se réveilla, la lune avait beaucoup progressé dans le ciel, et elle devina donc qu’elle avait dormi un bon moment. Le feu était moins vif qu’avant, et la chaleur et la lumière qu’il apportait étaient amoindris. Izanami était assise les genoux encerclés par ses bras, contemplant les derniers soubresauts de vie du brasier. Emy se leva et, surprise de nouveau par l’engourdissement, elle faillit s’étaler par terre à peine debout. Elle arriva néanmoins à atteindre l’énorme tronc d’arbre mort qui faisait office de banc improvisé, et à s’y asseoir. Pendant plusieurs minutes, les deux jeunes femmes n’échangèrent pas un mot, puis la membre fantôme finit par briser le silence ;
« Alors, ça va ?
-Oui, merci… Je n’ai plus du tout mal.
-C’est normal, ils ont dû te donner une boule de soin, à toi aussi.
-Et toi, ça va ? J’ai eu sacrément peur… Je veux dire, avec l’ours…
-T’inquiètes pas pour ça, on ne peut pas mourir, tu sais. J’en ai été quitte pour un gros bobo et une ou deux cicatrices.
-Merci beaucoup, tu m’as sûrement sauvé la mise…
-Aucun doute là-dessus. Si je n’avais pas été là, cette bestiole aurait fait de toi son quatre-heures. »
Emy crut qu’il s’agissait d’un reproche à son incapacité au combat, mais elle perçut un sourire sur les lèvres de son interlocutrice. Elle prit son courage à deux mains et posa la question qui la turlupinait depuis son réveil.
« Je te remercie vraiment, parce que… Enfin, j’ai été un peu stupide. Je croyais que tu ne m’aimais pas beaucoup. Tu ne m’as pour ainsi dire pas adressée la parole pendant tout le trajet.
-Ouais, désolée pour ça, je suis pas très douée pour ouvrir la conversation avec des inconnus. Surtout depuis quelques semaines d’ailleurs. J’ai l’impression de ne plus avoir d’envie pour rien, parfois. »
Le silence reprit ses droits, Emy n’ayant aucune envie de lui annoncer que c’était peut-être parce qu’elle était morte dans le monde réel. Elle fixa un moment la brune, essayant de chercher des signes qui la différencierait d’un membre normal. Izanami s’en aperçut et lui lança d’un ton bourru :
« Pourquoi tu me fixes comme ça ? Si t’es lesbienne, je te le dis tout de suite, je suis pas intéressée.
-Ce n’est pas ça… C’est juste… Je ne m’attendais pas à ce qu’une fan de Miyazaki soit du genre… Je ne sais pas, à parler comme ça par exemple.
-Je devrais être une petite fleur bleue parce que j’aime la bonne animation, c’est ça ? J’ai peut-être été comme ça un peu plus jeune, mais c’est bien fini.
-Et… C’est lequel, ton Miyazaki préféré, alors ? »
Emy crut percevoir une lueur d’intérêt et de joie passer dans le regard de sa sauveuse quand elle lui posa cette question, et la conversation dériva. Elle aurait bien aimé lui poser quelques questions sur les personnes qui étaient intervenues tout à l’heure, sur ce qui s’était passé pendant son inconscience et sur ce qui était prévu ensuite, sans parler de toutes ses interrogations sur le comportement complètement anormal des animaux et créatures imaginaires qui les avaient attaqués, mais elle ne voulut pas gâcher son rapprochement avec Iza.
Elle évita autant que possible de regarder dans la direction du feu, car sa vision lui rappelait qu’elle y avait projeté un être vivant, ou presque, quelques heures auparavant.
Profitant du climat tempéré qui régnait à Thèmalin en ce début d’après-midi, et qui contrastait avec celui qu’elle avait connu ces derniers temps, une jeune femme parcourait les rues du village, désormais privé de ses trois uniques « véritables » habitants, contemplant les bâtiments à l’architecture si inhabituelle. Elle s’arrêta au milieu d’une place, fit apparaître un écran d’appel sur son Pad. Le destinataire répondit après deux sonneries :
« Ah, Ouaneup ! Comment trouves-tu Thèmalin ? J’ai pris beaucoup de plaisir à le créer, celui-là.
-Très très sympa, Phil, abrégea Ouaneup, qui n’avait manifestement pas envie de s’étendre sur le génie urbain. La nouvelle est partie il y a un petit moment vers les montagnes de l’Est.
-Déjà ? s’amusa Scunindar. Je me doutais bien qu’elle finirait par y aller à un moment ou un autre, mais je pensais qu’elle prendrait le temps de s’installer un peu tout de même avant.
-Et c’est pas le plus fort. Capitaine SZM est avec elle, et surtout cette fille, Izanami.
-Ah ?
-Oui, et sans qu’ils n’aient eu besoin de la forcer, ou quoi que ce soit. Tu trouves pas ça étrange ? »
Il ne répondit pas, et enchaîna aussitôt sur ses instructions :
« Continue ta mission de ton côté, s’il te plaît. Je devais justement envoyer un Albatoss à Yoyo et Koop pour les prévenir de l’arrivée d’une nouvelle dans votre groupe d’enquête. Il va falloir surveiller tout ça.
-Ok, mais tu m’en devras une après tout ça, la chaleur est infernale dans le coin. »
Elle raccrocha, puis contempla le vaste ciel bleu parcourut par quelques nuages blancs solitaires. Tout avait l’air de partir de travers.
"Oui mais quand tu lances un débat politique ici ça tourne au vinaigre en général.
Dénommé Koopa, vous êtes le vinaigre."
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- Mady
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
Impressionnant comme d'habitude.
Books are the quietest and most constant of friends; they are the most accessible and wisest of counselors, and the most patient of teachers. - Charles William Eliot
Il y a un terme technique pour quelqu’un qui confond les avis d’un personnage d’un livre avec ceux de l’auteur. Ce terme est idiot Stephen Michael Stirling
- koopa troopa
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- Localisation : Ben, à votre avis?
Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
Ce n’est que lorsque le soleil se leva le lendemain matin qu’Emy put enfin en apprendre plus sur les personnes qui leur avaient sauvé la mise la nuit précédente. Deux d’entre elles étaient les modérateurs auxquels Scunindar avait fait allusion lors de son briefing et que Mady lui avait décrit un peu plus précisément ; le premier était Yoshidu62, qui avait été l’un des premiers membres du site, bien avant l’apparition du système ERM, et qui était également le plus ancien membre de l’équipe, le second avait pour pseudo un particulièrement original « Koopa troopa », mais il avait très lourdement insisté pour qu’on l’appelle Koop au moment des présentations ; décidément, beaucoup de gens semblaient avoir des problèmes avec leurs pseudos dans le coin. Pour compléter le trio, une jeune femme nommée Melyn, qui connaissait apparemment la région comme sa poche, et à laquelle ses nombreuses cicatrices donnaient un air impressionnant.
Bien évidemment, eux aussi étaient en quête des fameux bots disparus, et eux aussi étaient sortis bredouilles de leurs recherches, malgré toutes les justifications boiteuses qu’ils avaient essayé de trouver pour l’expliquer, le dénommé Koop attribuant rapidement cet échec à leur guide, qui avait répliqué, véhémente, que vu le boulet qu’elle se traînait, ça n’avait rien d’étonnant. S’en était suivi une violente dispute, et Emy avait alors deviné que c’était eux qu’elle avait entendu lors de sa courte reprise de conscience la nuit d’avant.
« Ils sont toujours comme ça ? demanda Clint.
-Si tu savais… Et encore, tu ne te les tapes pas depuis des jours et des jours… répondit Yoshidu62. Dès qu’un des deux ouvre la bouche, ça finit systématiquement en engueulade. À ce niveau, ça devient une discipline sportive.
-Koop a encore fait une connerie ?
-Bah, tu connais Koop, il ne peut pas s’empêcher de râler quand les choses ne vont pas dans son sens, et il se trouve que notre guide déteste qu’on la contredise ou qu’on remette en question ses compétences. Tu imagines bien le cocktail explosif que ça donne à la fin. »
La bande nouvellement formée dégusta un rapide petit-déjeuner, essentiellement composé de fruits frais tirés de leurs inventaires. Pendant leur repas, les trois membres de l’expédition « officielle » échangèrent sur la conduite à partir de maintenant.
« Les choses se compliquent, entama Melyn. Les attaques de bots sont de plus en plus régulières dans le coin.
-Vous avez déjà été attaqués ? intervint Clint.
-Plusieurs fois, confirma Yoshidu62. Et ça ne fait que s’intensifier au fur et à mesure que l’on progresse.
-C’est peut-être bon signe, suggéra Iza. Ça doit indiquer qu’on s’approche de ce qu’on cherche, non ?
-Soit ça, soit notre ennemi se renforce de plus en plus, répondit Koopa troopa. Et dans les deux cas, c’est une excellente raison pour trouver de quoi il en retourne au plus vite.
-Et qu’est-ce que vous avez prévu ensuite ? s’enquit le Capitaine.
-Tout nous porte à croire qu’on devrait trouver des choses intéressantes à l’Est d’ici. C’est d’ailleurs pour ça qu’on était dans le coin pour sauver vos miches hier soir, expliqua Yoyo.
-Très bien, dans ce cas on vient avec vous, affirma l’habitant de Thèmalin. J’ai bien envie d’avoir le fin mot de l’histoire.
-Je sais pas trop… modéra Yoshidu62. On n’est pas censés impliquer de simples membres, et…
-Un peu d’aide ne sera pas de refus, déclara Melyn à l’attention du modérateur. Je crois que plus on va avancer et plus on va avoir d’ennuis.
-En plus, la nouvelle fait un peu partie de l’équipe maintenant, vu que Phil l’a mise sur le coup, compléta Koop. On pourra lui montrer les ficelles d’une intervention musclée comme ça.
-« Toi » et « musclé », ça va pas vraiment bien ensemble, la tortue, lança Melyn d’un air goguenard.
-Ah oui, tu prends même plus la peine de me vouvoyer, maintenant ?
-Et ouais, et je me demande bien pourquoi je l’ai fait aussi longtemps, d’ailleurs… »
Le ton monta et, inévitablement, ils recommencèrent une de leurs énièmes disputes. Emy profita de l’agitation pour amener Clint un peu à l’écart.
« Clint… Tu es sûr que c’est une bonne idée ? Je veux dire…
-Je ne sais pas si c’est une bonne idée Emy, mais c’est une très bonne occasion de découvrir le fin mot de l’histoire, non ?
-Je ne sais pas… Je veux dire, ils savent ce qu’ils font, non ? Ils n’ont sûrement pas besoin de nous…
-Comment ça ? Tu étais là pendant l’attaque non ? Et ils ont dit que ça ne fait qu’empirer ! Plus on sera nombreux, mieux ça sera.
-Peut-être, mais…
-Écoute Emy, je ne te comprends plus. Hier encore tu voulais absolument partir pour enquêter alors que tu étais à peine installée, et maintenant tu veux tout laisser en plan alors qu’on est sur une piste sérieuse ? Tu t’es rendu compte que tu t’en fichais, c’est ça ?
-Bien sûr que non, mais… Je ne veux pas voir à refaire ça… À tirer sur des bestioles ou à les… »
La dispute entre le modérateur et la guide avait dû se calmer, car le premier les avait visiblement entendus, et il réagit en conséquence :
« Ben ça alors, t’as des scrupules à dégommer des bêtes virtuelles qui veulent ta peau ? On me l’avait encore jamais faites celle-là.
-Mêlez-vous de vos affaires, vous, répondit la nouvelle, excédée par le fait d’être jugée.
-Moi, je dis ça, je dis rien, continua-t-il pourtant. C’est juste que pour une auxiliaire de la modération, ça risque de pas aider… Tu savais pourtant dans quoi tu t’engageais, non ?
-Non, j’en savais rien ! répliqua-t-elle, sentant la rage monter en elle, accompagnée du picotement caractéristique des yeux qui annonçait les larmes. Je ne savais pas que je devrais… Jeter des chiens dans le feu quand on m’a demandé un coup de main, non. Ça vous dérange ? »
Sentant qu’elle était au bord de la crise de nerfs, Emy préféra s’éloigner. Derrière elle, Clint fit un pas pour la rattraper, mais Izanami lui fit comprendre qu’il valait mieux la laisser seule, dans la limite du raisonnable dans ces montagnes sauvages. Derrière eux, Melyn lança à Koop d’un ton chargé de reproches :
« Ben bravo, gros malin. T’as encore fais une belle bourde, t’as vraiment aucun tact. »
Emy partit aussi loin qu’elle le put dans son état, courant presque au début, avant de ralentir le pas pour finalement s’adosser à un rocher. Elle prit sa respiration et parvint à chasser ses larmes, essayant finalement de repenser à tout ça à tête reposée. Elle ne pouvait pas vraiment en vouloir à Koop. Après tout, il n’était pas présent quand elle avait accepté d’accorder son aide à Scunindar, et il ne savait probablement pas ce qu’on lui avait dit. D’un autre côté, elle n’avait aucune envie de continuer. C’était beaucoup trop pour elle, en bien trop peu de temps.
Mais d’un autre côté, il existait en elle une envie de continuer. La même envie qui l’avait poussée à partir en expédition dans les Montagnes de l’Est quelques jours à peine après son inscription sur le site.
Elle resta immobile pendant plusieurs minutes, à l’ombre du gros rocher qui lui servait d’appui, avant que quelqu’un derrière elle, ou plutôt au-dessus d’elle, se racle la gorge. Elle se retourna, essayant de discerner à qui appartenait l’ombre perchée sur le roc qui se détachait dans la lumière du soleil. Celle-ci sauta alors près d’elle, et s’avéra appartenir à Yoshidu62.
« Excuse Koop, entama-t-il. Il n’est pas du genre « fin », si tu vois ce que je veux dire.
-J’ai très bien vu, répondit-elle d’un ton abrupt. Et ça doit être un sacré imbécile.
-Hé, ce n’est pas parce que t’es en colère que tu dois être insultante comme ça. On peut accuser Koop d’être toutes sortes de choses, mais un imbécile, non. Enfin, je ne pense pas.
-Pourquoi vous êtes ici, de toute façon ?
-Je suis juste venu te dire que, si tu ne viens pas avec nous, je ne vois pas trop ce que tu vas faire. SZM et sa copine vont venir avec nous, et tu ne peux pas décemment espérer sortir de ces montagnes en un seul morceau, seule.
-Tant pis, de toutes façons je peux pas mourir, c’est bien ça ? Alors qu’est-ce que je risque ?
-Être capturée et prise en otage serait le plus probable, mais on peut aussi imaginer de la torture, morale ou physique.
-Vous dites ça pour me faire peur.
-J’aimerai bien, et ce ne sont que des suppositions. Mais soyons francs, pourquoi est-ce qu’ils se priveraient ? Ils ont déjà lâché des bêtes sauvages sur nous. »
Emy se plongea dans ses pensées, réfléchissant à tout ça, et elle ne s’aperçut pas immédiatement que le modérateur s’était assis, dos contre le rocher.
« Qu’est-ce qui te pose problème ? demanda-t-il. SZM nous a dit que c’est toi qui étais à l’origine de votre expédition.
-Je ne m’attendais à devoir faire des choses pareilles…
-Tuer des animaux, tu veux dire ?
-Oui.
-Tu es bien consciente que ce ne sont que des lignes de code ? Ça n’a rien à voir avec de vrais êtres vivants.
-Ils ont l’air vrai, pourtant. Et si je suis capable de balancer un truc aussi réaliste au feu, qu’est-ce qui m’empêchera de le faire pour un vrai ?
-Peut-être le fait que tu éprouves autant de remords de l’avoir fait, non ?
-Comment vous faites d’habitude ? Je veux dire, quand une personne un minimum sensible se retrouve dans cette situation ?
-Les personnes sensibles évitent d’aller dans des endroits qui grouillent de monstres hostiles, en général. Tu es l’exception à la règle : celle qui nous aide à mettre la main sur les voleurs de bots.
-Si j’avais su, je n’aurais jamais accepté.
-Oui, mais maintenant il est un peu tard pour faire demi-tour. »
Il se leva, s’étira un peu puis l’invita d’un signe de tête à le suivre.
« On fera tout pour t’épargner les combats avec des « êtres vivants », mais on ne peut pas faire autrement que t’emmener avec nous. Hors de question de te laisser crapahuter seule dans ces montagnes, surtout que nos invités risquent de se servir de toi comme moyen de pression s’ils te choppent. »
Le groupe s’était finalement remis en marche, direction plein Est. En tête marchaient Melyn, qui guettait la moindre trace suspecte en plus de leur indiquer le chemin, accompagnée de Yoyo qui, pistolet-mitrailleur à la main, se chargeait de la couverture. Derrière eux, à une dizaine de mètres, les trois habitants de Thèmalin marchaient côte-à-côte, sans formation particulière, mais près à dégainer au moindre évènement suspect. Enfin, Koop marchait à une vingtaine de mètres derrière eux, formant l’arrière-garde, autant par souci de sécurité que pour éviter au maximum les accrochages entre lui et la guide, comme l’avait avoué Yoyo à SZM, Izanami et Emy avant leur départ.
La progression était particulièrement difficile ; le relief devenait de plus en plus accidenté et la chaleur de plus en plus étouffante au fur et à mesure que midi approchait. Emy ne sentait plus qu’une douleur lancinante dans ses jambes et que la sensation de la sueur collant à sa peau. Pour couronner le tout, l’ennui guettait comme un charognard. L’un des trois membres qui marchaient au centre essayait bien de lancer une conversation de temps à autre, mais ils avaient trop chaud pour les continuer bien longtemps.
Au bout d’une interminable marche, alors qu’11 heures approchait, ils entendirent derrière la voix de l’ « arrière-garde » qui lança, d’un air exaspéré :
« Oh non, pas encore !
-Qu’est-ce qu’il y a, Koop ? demanda Clint, qui avait déjà fait apparaître son arme dans sa main.
-C’est encore le sac à puce de l’autre incapable, là.
-Le sac à puce… » répéta Clint, sans comprendre à quoi il faisait allusion.
Iza haussa les épaules pour montrer qu’elle n’en avait aucune idée, et Emy dégaina à son tour, décidée à ne pas se laisser surprendre de nouveau.
« Quelque chose ne va pas ? demanda Yoshidu62 qui était revenu sur ses pas en entendant l’échange.
-Koop a parlé d’un sac à puce, rapporta Izanami.
-Ah, je vois… »
À ce moment, Koop apparut à l’angle du gros rocher qui le cachait aux autres jusque-là, un loup au pelage couleur gris et fauve trottant joyeusement à ses côtés.
Les deux jeunes femmes avaient déjà commencé à pointer leurs armes dans sa direction, mais Yoshidu62 les arrêta d’un geste.
« Tout va bien, elle est avec nous… Enfin, autant qu’une louve-bot peut l’être, évidemment, expliqua-t-il.
-Elle s’appelle Luna, précisa Melyn qui était aussi revenue sur ses pas.
-Si vous cherchiez l’originalité, c’était la porte à côté, glissa Koop en grattant la tête de l’animal.
-Viens là, Lun’ », poursuivit la guide, faisant de gros efforts pour se retenir de répliquer.
La louve obéit sans discuter et alla se planter juste à côté d’elle. Elle lui gratta la tête à son tour, avant de faire demi-tour et de se remettre en route, talonnée par son animal.
« Une louve ? s’étonna Emy quand elle fut assez loin pour ne plus pouvoir les entendre.
-C’est peut-être étonnant dans le monde réel, mais pas sur LMDM, indiqua le plus ancien modérateur. En théorie, tous les bots animaliers peuvent devenir des familiers.
-Des « familiers » ? Comme dans les MMORPG ?
-Oui, comme dans les Meuporgs, confirma Yoshidu62 avec un sourire.
-Les quoi ?
-Laisse tomber, c’est une blague qui date de bien avant les débuts du système ERM.
-Donc si je comprends bien, je pourrai avoir un ours géant pour animal de compagnie ?
-Tu te doutes bien que ce n’est pas si simple. Phil a fait en sorte qu’on ne puisse se lier d’amitié qu’avec un seul bot « sauvage » à la fois, et cela implique de le vaincre sans le tuer, ce qui est loin d’être une mince affaire.
-Et pourquoi on ne l’a jamais vue avant, « Luna » ? demanda Clint.
-Elle part souvent chasser pendant plusieurs jours, alors on ne l’a pas vu bien souvent non plus. Pourtant, elle a l’air de s’être attachée à Koop, d’une façon ou d’une autre. Et ça, ça rend Melyn un peu jalouse, il faut avouer…
-Quand on pense que sa maîtresse et lui ne peuvent pas se saquer… remarqua Izanami.
-Que veux-tu, on dirait qu’on ne peut pas comprendre complètement les animaux, même en ayant réussi à faire des copies informatiques de leurs esprits. »
Et sur ces mots, il repartit vers l’avant pour rattraper Melyn, les trois éléments du centre reprirent tranquillement leur route tandis que Koop les laisser prendre un peu d’avance.
Après une rapide pause-déjeuner aux alentours de midi, les aventuriers finirent par arriver « près de la zone qui nous intéresse », selon les mots de Yoshidu62. Emy ne s’expliquait pas bien comment ils pouvaient savoir exactement où chercher, et surtout pourquoi, s’ils le pouvaient, ils avaient errés dans ces montagnes pendant plusieurs jours, mais elle finit par se dire qu’ils avaient sans doute un moyen d’identifier une activité suspecte, en tant que modérateurs et que représentants du webmaster.
Et c’est vers 14 heures, après un autre épisode de marche éreintante, qu’ils se retrouvèrent réunis tous les six devant leur fameux objectif : une monumentale cavité, donnant sur les ténèbres, dont l’entrée était encadrée de deux piliers hauts d’une bonne vingtaine de mètres. L’endroit évoquait un peu à Emy les entrées des anciens monuments égyptiens.
« Le Donjon des Roches Rouges, annonça Yoshidu62.
-Et par donjon, tu veux dire un truc façon RPG, j’imagine ?
-C’est ça, des salles à explorer, des saloperies à éliminer et un gros boss à la fin qui cache un objet rare. Le paradis des aventuriers, quoi.
-Et pourquoi on est ici, concrètement ?
-Un endroit extrêmement vaste, à l’abri des regards, au beau milieu des montagnes de l’Est. Et franchement tranquille, vu que peu de gens viennent faire ce donjon-là. Si je voulais planquer plusieurs dizaines de bots dans le coin, c’est là que j’irais. »
Il fit apparaître son arme dans ses mains, et conseilla à tous ses compagnons de faire de même.
« On ne sait pas ce qu’on va trouver là-dedans, alors faites gaffe où vous mettez les pieds et couvrez-vous mutuellement. Je passe devant avec Melyn, vous trois, vous restez en retrait et vous couvrez nos flancs. Koop, tu t’occupes de nos arrières.
-Quoi ?!? Pourquoi encore moi ?
-Parce que ! C’est vraiment pas le moment de discuter, Koop ! »
L’intéressé grommela vaguement mais finit par obtempérer et pris sa place dans la formation.
Ils entrèrent dans l’immense édifice. Si la seule trace de la main humaine à l’extérieur était la présence des deux colonnes monumentales, celle-ci devint évidente dès qu’ils commencèrent à avancer dans le long couloir dont les murs étaient faits de gigantesques blocs de pierre, de plusieurs tonnes sans doute. Après une cinquantaine de mètres, le couloir s’ouvrit sur une gigantesque salle remplie d’innombrables rangées de piliers dont on ne pouvait distinguer ni le fond ni les côtés plongés dans l’obscurité. À une bonne centaine de mètres devant eux, un large trait de lumière filtrait à travers un trou dans le plafond, laissé par la chute d’un énorme bloc de pierre qui gisait piteusement sur le sol.
Emy comprenait mieux pourquoi l’endroit pouvait passer pour une excellente cachette ; on aurait sans problème pu y cacher des centaines, voire des milliers de bots, rien que dans la partie de la pièce qu’elle distinguait clairement. Cependant, il n’y avait pas âme qui vive pour l’instant.
Yoshidu62 fit apparaître dans sa main un orbe, assez proche des balles de soin, mais qui semblait dégager une lueur semblable à celle d’un brasier. Le modérateur la serra dans sa main et elle dégagea une nuée de flamme qui filèrent vers des réceptacles à torche qui trônaient sur toute la rangée de colonnes centrale et les allumèrent.
Le petit groupe avança encore de quelques mètres avant qu’un bruit de raclement se fasse entendre quelque part devant eux, à droite. Les armes des trois amateurs qui constituaient la ligne centrale se tournèrent instantanément vers l’origine du bruit, qui fut bientôt suivi par plusieurs autres venant d’un peu partout autour d’eux.
« Des Goleminis, prévint Yoshidu62.
-Goleminis… marmonna Melyn. Je m’y ferai jamais, à ces noms façon Mario que Scunindar a donné à tous le bestiaire... »
Les Goleminis finirent par apparaître à la lueur des torches ; il s’agissait d’êtres filiformes d’une cinquantaine de centimètres en moyenne, composés de cailloux de toutes formes et de toutes tailles liés ensembles par une force inconnue. Points communs entre eux tous : la présence de deux bras et de deux jambes, et d’un caillou beaucoup plus gros que les autres pour la tête, percé de deux trous dont émanait une lueur verte irréelle.
Les premiers coups de feu ne tardèrent pas à se faire entendre, et les assaillants, ridiculement faibles, volèrent en éclat aux premiers impacts. Emy eut cependant du mal à venir à bout de celui qu’elle avait pris pour cible, car, s’ils étaient terriblement fragiles, ils étaient aussi assez minces et avaient des mouvements désordonnés et imprévisibles. Pendant le combat, Luna montra d’impressionnantes capacités, mordant et griffant à tout va et éliminant plusieurs ennemis à elle seule. Il ne leur fallut que quelques minutes pour venir à bout de la vingtaine de monstres qui avaient surgi des ténèbres. Leur progression les avait menés vers l’énorme bloc effondré.
C’est à cet instant qu’ils entendirent un claquement répété, qu’ils identifièrent finalement comme étant des applaudissements à rythme lent. Ils se retournèrent d’un bloc vers la source du bruit. Celui-ci provenait d’une jeune femme dont la silhouette se détachait dans la lumière de l’entrée qu’ils avaient empruntée quelques minutes plus tôt. Elle était plutôt grande, la pâleur de sa peau encore accentuée par ses longs cheveux d’un blanc de neige qui tombaient jusqu’à ses épaules et par ses pupilles d’un rouge éclatant.
« N’allez pas vous faire des idées, lança l’inconnue d’une voix un peu rocailleuse qui évoquait une personne ayant fumé quelques temps. Je ne vous applaudis pas pour avoir réussi à vous débarrasser de toutes ces p’tites saloperies, mes lapins, mais parce que vous êtes tombés en plein dans notre joli piège. Et quelle foutue brochette : deux modérateurs sur trois et quatre jolis membres pour les tests. »
Un long silence s’ensuivit, brisé au bout de plusieurs secondes par Koop qui s’écria, hilare :
« Des yeux rouges, sérieux ? C’est vraiment un truc d’emos ça ! Encore pire que Melyn avec ses cicatrices ! »
L’intervenante se crispa, fit apparaître deux armes dans ses mains et commença à arroser copieusement les explorateurs de balles. Koop et Yoyo répliquèrent aussitôt, et ce dernier ordonna aux autres de se mettre à couvert derrière le gros bloc de pierre, ce qu’ils firent aussi vite que possible. Le temps de reprendre leur souffle et leurs esprits, et ils furent rejoins par les deux modérateurs.
« Alors, Koop, demanda Yoshidu62. Qu’est-ce que ça donne ?
-Deux Uzis, répondit-il. Pas beaucoup de dégâts et pas très précis, mais grosse cadence de tir. Trop, en fait. Elle devrait pas pouvoir nous arroser comme à cette cadence et sans recharger, normalement.
-Autre chose ?
-Y’a un truc qui cloche vraiment avec cette fille. J’ai bien dû lui coller deux ou trois balles d’AK et elle a pas bronché. Et pourtant c’est du 7,62, pas de la munition OTAN de tafiole !
-Je vois… Une idée ?
-J’ai toujours mon plan B. »
Il passa son arme en bandoulière sur épaule et fit apparaître une grenade dans sa main, puis il quitta le couvert du bloc, dégoupilla l’explosif et le lança juste devant l’agresseur qui avait commencé à avancer dans leur direction. Elle baissa les yeux vers le projectile, et un léger sourire se dessina sur son visage. Puis ce fut l’explosion, violente, qui fit même trembler le sol jusqu’à eux. Quand la fumée qu’elle avait provoquée se dissipa, l’inconnue aux cheveux blancs était toujours debout, le visage et le corps constellés de plaies dues aux éclats. Celles-ci parurent alors cicatriser quasi-instantanément, puis les cicatrices disparurent à leur tour, laissant la peau aussi lisse qu’au jour de sa naissance.
« Bien essayé mon canard, mais il va falloir un peu plus que ça !
-Une autre idée ? interrogea Yoyo.
-Ouais, je vais passer au plan C. Si ça marche pas, on revient au plan A.
-Donc on lui tire dessus à toutes berzingues ?
-C’est ça. Bon, je vais tenter le coup. Souhaitez-moi bonne chance. »
Étrangement, personne ne lui souhaita bonne chance, mais c’était peut-être parce que personne ne s’attendait à le voir sortir une baïonnette et la fixer au canon de sa kalachnikov. Puis il prit sa respiration et commença à charger droit sur la jeune femme, en poussant un retentissant « HOURRRAAAAAAA ! »… Avant de se retrouver littéralement empalé sur la rapière que son adversaire avait fait apparaître dans l’intervalle. Elle dégagea le corps inanimé et sanguinolent d’un coup de pieds et lança d’une voix assurée : « Et de un ! », avant de reprendre son chemin.
« C’est pas vrai, mais quel crétin, s’énerva Melyn en rechargeant.
-Vous l’avez entendu, on arrose », coupa Yoyo.
Ils obéirent, et cinq armes ouvrirent le feu simultanément vers l’inconnue, qui était désormais à une cinquantaine de mètres d’eux, sans effet apparent. Bien que couverte d’impacts sanglants, elle continuait à avancer à pas lents, imperturbable, souriant toujours, et ne prenant même pas la peine de répliquer. De toute évidence, elle aimait jouer avec ses proies.
Quand le petit groupe eut la conviction que ses balles n’avaient aucun effet, ils menèrent rapidement une réunion de crise improvisée derrière leur abri.
« Bon, je crois que je sais à quoi on a affaire, entama Yoyo. Il existe un certain élément de codage qu’on attribue habituellement à certain boss pour les rendre plus résistants. Ça confère au monstre beaucoup de PV, et tant qu’il a un certain nombre de PV, il peut se régénérer des blessures. Le problème, c’est que si elle a réussi à obtenir le nombre de PV maximum possible, on pourrait lui tirer dessus pendant des jours sans s’arrêter sans que ça ne lui fasse rien.
-Et du coup, c’est quoi le plan ? demanda Clint.
-Notre meilleure chance, ce sont les évènements particuliers qui peuvent faire perdre tous ses PV d’un coup à un membre ou à un bot.
-…Comme la chute d’une très grosse pierre, compléta Melyn en jetant un coup d’œil au plafond.
-C’est ça. La chute d’un objet très lourd sur la cible peut lui enlever tous ses PV d’un coup, à condition que son poids soit plusieurs fois égal à celui de la chose écrasée. Je pense que pour une humaine de quelques dizaines de kilos, ça devrait le faire. Visez les piliers et arrangez-vous pour qu’ils lui tombent dessus. On se sépare, chacun pour soi. Et gaffe aux monstres qui traînent dans le coin. »
Puis il se leva, PPsh en main, et commença à tirer vers l’inconnue, qui n’était plus qu’à une dizaine de mètres de leur planque, ce qui eut au moins pour effet de la surprendre et de la ralentir un peu.
Les autres commencèrent à courir dans toutes les directions, se dispersant dans les ténèbres du donjon.
Emy courut droit devant elle pendant plusieurs minutes, puis tourna à droite quand elle aperçut une ouverture dans le mur. Elle s’y engouffra et déboucha sur un large couloir qui s’enfonçait plus profondément dans la montagne. Elle plaqua son dos contre le mur, arme à la main, et lança un rapide regard pour tenter de distinguer son ennemie, mais la seule chose qu’elle perçut fut l’écho lointain des coups de feu. Elle reprit sa respiration pendant quelques dizaines de secondes, puis reparti de plus belle, son chemin heureusement éclairé par d’autres torches.
Malgré les instructions données par Yoshidu62, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devrait faire si elle tombait sur l’assaillante ; comment pourrait-elle faire tomber sur elle un bloc de plusieurs tonnes ? En détruisant un des piliers, sans doute, mais comment faire ?
Elle continuait à avancer, réfléchissant tellement à la suite qu’elle faillit ne pas voir les deux formes qui s’étaient dessinées dans l’ombre devant elle. Il s’agissait de deux répliques des Goleminis, mais grands de près d’1 mètre 50, avec la même lumière verte à la place du regard. L’un d’entre eux levait déjà un « bras » qui se terminait par une grosse pierre tenant lieu de massue. La jeune femme dû plonger en arrière, s’étalant à moitié par terre, et vida son chargeur sur les monstres, mais, une fois les impacts passés, cela n’eut pas plus d’effet que des piqures de moustiques. Emy lâcha un « merde » et repartit sur ses pas à toutes jambes, persuadée que ses coups de feu avaient dû indiquer sa position à la femme aux cheveux blancs, et qu’elle ne tarderait pas à venir s’occuper d’elle.
Elle sortit du couloir encore plus vite qu’elle n’y était entrée, et déboucha de nouveau dans la gigantesque salle. Derrière elle, les bruits discordants des pierres qui s’entrechoquaient lui évoquèrent les golems à sa poursuite. Une seconde à regarder derrière elle à la recherche de ses poursuivants, et elle percuta de plein fouet quelqu’un. Elle tomba sur les fesses, pointa son arme sur la forme et appuya à plusieurs reprises sur la gâchette, sans d’autre effet que provoquer un petit « clic ». La forme lui tendit une main hâlée, qu’Emy saisit sans réfléchir. La main la tira vers elle, et elle se retrouva debout face à Melyn, accompagnée de sa louve.
« La prochaine fois, si tu essayes de tirer sur quelqu’un assure-toi au moins que ton arme est chargée.
-Je devrais surtout m’assurer que la personne n’est pas une alliée, répondit Emy avec un rire nerveux.
-Oui, ce serait sympa aussi.
-Et à part ça… Tu as un plan pour la suite ?
-J’ai un début d’idée, oui. Mais il va falloir se débrouiller pour que miss « Mon Canard » nous prenne en chasse.
-Tu… Tu es sûre ?
-Tu préfères sans doute jouer à cache-cache ici indéfiniment ?
-Non.
-C’est bien ce que je pensais. »
La chasseuse pointa alors sa propre arme, un revolver de gros calibre, vers le plafond, et tira à plusieurs reprises, tout en hurlant, main en porte-voix : « HEY, LA TRUIE ! VIENS ICI ET FINISSONS-EN ! J’EN AI MARRE DE TE CHERCHER PARTOUT POUR TE BOTTER LE CUL! ». Comme si elle comprenait l’objectif poursuivi par sa maîtresse, Luna commença à hurler à la mort au même instant, multipliant le bruit ainsi produit, qui résonna et se répercuta sur les parois de la salle sans fin où ils étaient.
« T’inquiètes pas, ma colombe ! répondit peu après la voix distante de leur cible. J’arrive de ce pas pour m’occuper de tes plumes !
-Mes plumes… Ben voyons. Allez, amène-toi, lança-t-elle à Emy avant de partir d’un bon pas vers l’extrémité de la salle opposée à celle où ils étaient entrés. Elles marchèrent pendant plusieurs minutes, pendant lesquelles la guide lança des remarques peu flatteuses à l’intention de leur ennemie, qui paraissait plus proche à chaque réponse menaçante. Cela n’avait pas l’air d’effrayer Melyn, bien au contraire, tandis qu’Emy commençait à avoir franchement peur pour la suite des évènements.
De temps à autres, leur route croisa celle de Goleminis et de monstres semblables à ceux qui l’avait surprise dans le couloir, que Melyn appelait des « Golemoyen », un nom particulièrement ridicule, de l’avis de la nouvelle, mais ça n’était pas vraiment le moment de débattre de nomenclature. Melyn se débarrassa d’eux avec une aisance surprenante, aidée de sa louve, ce qui impressionna beaucoup la membre inexpérimentée.
Elles ne s’arrêtèrent que devant une monumentale porte de bois ouvragée, placée au milieu du mur du fond de cette phénoménale pièce qu’elles avaient parcouru jusque-là.
« Prête ? s’enquit Melyn.
-Prête pour quoi ?
-Pour voir le boss du donjon en action.
-Le boss du… Tu es bien consciente qu’on se fait courser par une folle furieuse, là ?
-Évidemment, et quoi de mieux qu’un monstre fou furieux de 15 mètres de haut pour calmer une folle furieuse d’1 mètre 80 ? »
Elle lança une dernière provocation (« Alors, foutue feignasse, je t’attends toujours ! »), et poussa alors la porte qui s’ouvrit lentement, chose étonnante vu le poids qu’elle devait faire. Celle-ci donnait sur une vaste pièce circulaire au sol parfaitement dallé d’un rayon de plusieurs dizaines de mètres, autour de laquelle courrait un balcon circulaire délimité par des arches aux motifs ouvragés. Au centre de la pièce se tenait un gigantesque monstre de pierre. Contrairement aux monstres de bases composés de pierres agglomérées, celui-ci semblait avoir été façonné dans la terre cuite. Son ventre était gros et rond, ses bras et jambes massifs, ses mains énormes, et sa tête été percée de deux vastes trous qui dégageaient la fameuse lueur verte.
« Golossus », annonça Melyn.
Le boss sembla les apercevoir, car son « regard » s’arrêta sur elles, et il commença à pivoter lourdement dans leur direction.
« Cours », suggéra Melyn.
Emy ne se fit pas prier. Heureusement pour elles, le maître des lieux était particulièrement lent, et ne parvint pas à suivre le mouvement. Les deux jeunes femmes s’engouffrèrent dans une cage d’escalier qui devait mener au balcon, et grimpèrent les marches quatre à quatre. Elles étaient maintenant hors de vue de Golossus.
« Et maintenant ? chuchota Emy.
-Maintenant, on attend l’autre gourde. »
L’ « autre gourde » ne tarda pas à apparaître, et parut plutôt surprise de se trouver nez-à-nez avec le monstrueux occupant des lieux. Mais son expression de surprise se transforma bien vite en un sourire carnassier.
« C’est tout ce que tu as trouvé pour m’arrêter, mon poussin ? Je vais le réduire en tas de tessons et je m’occupe de ton cas juste après. »
Et, joignant les gestes à la parole, elle dégaina ses deux Uzis et commença à faire pleuvoir un véritable déluge de balle, quasi surnaturel, sur l’immense monstre, qui commença à s’ébrécher et à perdre morceaux sur morceaux.
« C’était ça ton plan génial ? Compter sur cette grosse brique ?
-Non, compter sur le fait qu’elle tue la grosse brique. Et ça a l’air de très bien marcher pour l’instant.
-Je ne te suis pas.
-Ça va être le moment de mettre à profit l’arme que j’ai gagné la première fois que j’ai fini ce donjon. »
Comme on pouvait s’y attendre, Golossus ne put pas résister très longtemps à une telle débauche de puissance, et il commença à sérieusement vaciller vers l’arrière.
« Tu vois, je n’en ai fait qu’une bouchée. À ton tour, provoqua l’inconnue.
-Maintenant », marmonna alors Melyn pour elle-même.
Puis elle surgit sur le balcon comme un diable hors de sa boîte, tout en faisant apparaître un sorte de tube façon lance-roquette, mais qui semblait fait d’argile, et qui était parcourut de traits de lumière verte semblable à celle qui animait les golems. Melyn visa le dos du boss vaincu qui commençait à tomber droit sur elle, appuya sur la détente, et un puissant rayon vert parti de l’arme droit vers le dos du monstre déchu. L’impact fut tel que le corps, désormais inanimé, qui avait commencé à pencher vers l’arrière, parti vers l’avant, c’est-à-dire droit vers l’endroit où se tenait leur ennemie.
Cette dernière n’eut que le temps de murmurer un « Qu’est-ce que… », tandis que son expression conquérante se décomposait sur son visage, avant d’être écrasée par plusieurs dizaines de tonnes de pierre et d’argile.
« Désolée, « mon canard », lança Melyn, mais la rigolade est finie. »
Bien évidemment, eux aussi étaient en quête des fameux bots disparus, et eux aussi étaient sortis bredouilles de leurs recherches, malgré toutes les justifications boiteuses qu’ils avaient essayé de trouver pour l’expliquer, le dénommé Koop attribuant rapidement cet échec à leur guide, qui avait répliqué, véhémente, que vu le boulet qu’elle se traînait, ça n’avait rien d’étonnant. S’en était suivi une violente dispute, et Emy avait alors deviné que c’était eux qu’elle avait entendu lors de sa courte reprise de conscience la nuit d’avant.
« Ils sont toujours comme ça ? demanda Clint.
-Si tu savais… Et encore, tu ne te les tapes pas depuis des jours et des jours… répondit Yoshidu62. Dès qu’un des deux ouvre la bouche, ça finit systématiquement en engueulade. À ce niveau, ça devient une discipline sportive.
-Koop a encore fait une connerie ?
-Bah, tu connais Koop, il ne peut pas s’empêcher de râler quand les choses ne vont pas dans son sens, et il se trouve que notre guide déteste qu’on la contredise ou qu’on remette en question ses compétences. Tu imagines bien le cocktail explosif que ça donne à la fin. »
La bande nouvellement formée dégusta un rapide petit-déjeuner, essentiellement composé de fruits frais tirés de leurs inventaires. Pendant leur repas, les trois membres de l’expédition « officielle » échangèrent sur la conduite à partir de maintenant.
« Les choses se compliquent, entama Melyn. Les attaques de bots sont de plus en plus régulières dans le coin.
-Vous avez déjà été attaqués ? intervint Clint.
-Plusieurs fois, confirma Yoshidu62. Et ça ne fait que s’intensifier au fur et à mesure que l’on progresse.
-C’est peut-être bon signe, suggéra Iza. Ça doit indiquer qu’on s’approche de ce qu’on cherche, non ?
-Soit ça, soit notre ennemi se renforce de plus en plus, répondit Koopa troopa. Et dans les deux cas, c’est une excellente raison pour trouver de quoi il en retourne au plus vite.
-Et qu’est-ce que vous avez prévu ensuite ? s’enquit le Capitaine.
-Tout nous porte à croire qu’on devrait trouver des choses intéressantes à l’Est d’ici. C’est d’ailleurs pour ça qu’on était dans le coin pour sauver vos miches hier soir, expliqua Yoyo.
-Très bien, dans ce cas on vient avec vous, affirma l’habitant de Thèmalin. J’ai bien envie d’avoir le fin mot de l’histoire.
-Je sais pas trop… modéra Yoshidu62. On n’est pas censés impliquer de simples membres, et…
-Un peu d’aide ne sera pas de refus, déclara Melyn à l’attention du modérateur. Je crois que plus on va avancer et plus on va avoir d’ennuis.
-En plus, la nouvelle fait un peu partie de l’équipe maintenant, vu que Phil l’a mise sur le coup, compléta Koop. On pourra lui montrer les ficelles d’une intervention musclée comme ça.
-« Toi » et « musclé », ça va pas vraiment bien ensemble, la tortue, lança Melyn d’un air goguenard.
-Ah oui, tu prends même plus la peine de me vouvoyer, maintenant ?
-Et ouais, et je me demande bien pourquoi je l’ai fait aussi longtemps, d’ailleurs… »
Le ton monta et, inévitablement, ils recommencèrent une de leurs énièmes disputes. Emy profita de l’agitation pour amener Clint un peu à l’écart.
« Clint… Tu es sûr que c’est une bonne idée ? Je veux dire…
-Je ne sais pas si c’est une bonne idée Emy, mais c’est une très bonne occasion de découvrir le fin mot de l’histoire, non ?
-Je ne sais pas… Je veux dire, ils savent ce qu’ils font, non ? Ils n’ont sûrement pas besoin de nous…
-Comment ça ? Tu étais là pendant l’attaque non ? Et ils ont dit que ça ne fait qu’empirer ! Plus on sera nombreux, mieux ça sera.
-Peut-être, mais…
-Écoute Emy, je ne te comprends plus. Hier encore tu voulais absolument partir pour enquêter alors que tu étais à peine installée, et maintenant tu veux tout laisser en plan alors qu’on est sur une piste sérieuse ? Tu t’es rendu compte que tu t’en fichais, c’est ça ?
-Bien sûr que non, mais… Je ne veux pas voir à refaire ça… À tirer sur des bestioles ou à les… »
La dispute entre le modérateur et la guide avait dû se calmer, car le premier les avait visiblement entendus, et il réagit en conséquence :
« Ben ça alors, t’as des scrupules à dégommer des bêtes virtuelles qui veulent ta peau ? On me l’avait encore jamais faites celle-là.
-Mêlez-vous de vos affaires, vous, répondit la nouvelle, excédée par le fait d’être jugée.
-Moi, je dis ça, je dis rien, continua-t-il pourtant. C’est juste que pour une auxiliaire de la modération, ça risque de pas aider… Tu savais pourtant dans quoi tu t’engageais, non ?
-Non, j’en savais rien ! répliqua-t-elle, sentant la rage monter en elle, accompagnée du picotement caractéristique des yeux qui annonçait les larmes. Je ne savais pas que je devrais… Jeter des chiens dans le feu quand on m’a demandé un coup de main, non. Ça vous dérange ? »
Sentant qu’elle était au bord de la crise de nerfs, Emy préféra s’éloigner. Derrière elle, Clint fit un pas pour la rattraper, mais Izanami lui fit comprendre qu’il valait mieux la laisser seule, dans la limite du raisonnable dans ces montagnes sauvages. Derrière eux, Melyn lança à Koop d’un ton chargé de reproches :
« Ben bravo, gros malin. T’as encore fais une belle bourde, t’as vraiment aucun tact. »
Emy partit aussi loin qu’elle le put dans son état, courant presque au début, avant de ralentir le pas pour finalement s’adosser à un rocher. Elle prit sa respiration et parvint à chasser ses larmes, essayant finalement de repenser à tout ça à tête reposée. Elle ne pouvait pas vraiment en vouloir à Koop. Après tout, il n’était pas présent quand elle avait accepté d’accorder son aide à Scunindar, et il ne savait probablement pas ce qu’on lui avait dit. D’un autre côté, elle n’avait aucune envie de continuer. C’était beaucoup trop pour elle, en bien trop peu de temps.
Mais d’un autre côté, il existait en elle une envie de continuer. La même envie qui l’avait poussée à partir en expédition dans les Montagnes de l’Est quelques jours à peine après son inscription sur le site.
Elle resta immobile pendant plusieurs minutes, à l’ombre du gros rocher qui lui servait d’appui, avant que quelqu’un derrière elle, ou plutôt au-dessus d’elle, se racle la gorge. Elle se retourna, essayant de discerner à qui appartenait l’ombre perchée sur le roc qui se détachait dans la lumière du soleil. Celle-ci sauta alors près d’elle, et s’avéra appartenir à Yoshidu62.
« Excuse Koop, entama-t-il. Il n’est pas du genre « fin », si tu vois ce que je veux dire.
-J’ai très bien vu, répondit-elle d’un ton abrupt. Et ça doit être un sacré imbécile.
-Hé, ce n’est pas parce que t’es en colère que tu dois être insultante comme ça. On peut accuser Koop d’être toutes sortes de choses, mais un imbécile, non. Enfin, je ne pense pas.
-Pourquoi vous êtes ici, de toute façon ?
-Je suis juste venu te dire que, si tu ne viens pas avec nous, je ne vois pas trop ce que tu vas faire. SZM et sa copine vont venir avec nous, et tu ne peux pas décemment espérer sortir de ces montagnes en un seul morceau, seule.
-Tant pis, de toutes façons je peux pas mourir, c’est bien ça ? Alors qu’est-ce que je risque ?
-Être capturée et prise en otage serait le plus probable, mais on peut aussi imaginer de la torture, morale ou physique.
-Vous dites ça pour me faire peur.
-J’aimerai bien, et ce ne sont que des suppositions. Mais soyons francs, pourquoi est-ce qu’ils se priveraient ? Ils ont déjà lâché des bêtes sauvages sur nous. »
Emy se plongea dans ses pensées, réfléchissant à tout ça, et elle ne s’aperçut pas immédiatement que le modérateur s’était assis, dos contre le rocher.
« Qu’est-ce qui te pose problème ? demanda-t-il. SZM nous a dit que c’est toi qui étais à l’origine de votre expédition.
-Je ne m’attendais à devoir faire des choses pareilles…
-Tuer des animaux, tu veux dire ?
-Oui.
-Tu es bien consciente que ce ne sont que des lignes de code ? Ça n’a rien à voir avec de vrais êtres vivants.
-Ils ont l’air vrai, pourtant. Et si je suis capable de balancer un truc aussi réaliste au feu, qu’est-ce qui m’empêchera de le faire pour un vrai ?
-Peut-être le fait que tu éprouves autant de remords de l’avoir fait, non ?
-Comment vous faites d’habitude ? Je veux dire, quand une personne un minimum sensible se retrouve dans cette situation ?
-Les personnes sensibles évitent d’aller dans des endroits qui grouillent de monstres hostiles, en général. Tu es l’exception à la règle : celle qui nous aide à mettre la main sur les voleurs de bots.
-Si j’avais su, je n’aurais jamais accepté.
-Oui, mais maintenant il est un peu tard pour faire demi-tour. »
Il se leva, s’étira un peu puis l’invita d’un signe de tête à le suivre.
« On fera tout pour t’épargner les combats avec des « êtres vivants », mais on ne peut pas faire autrement que t’emmener avec nous. Hors de question de te laisser crapahuter seule dans ces montagnes, surtout que nos invités risquent de se servir de toi comme moyen de pression s’ils te choppent. »
Le groupe s’était finalement remis en marche, direction plein Est. En tête marchaient Melyn, qui guettait la moindre trace suspecte en plus de leur indiquer le chemin, accompagnée de Yoyo qui, pistolet-mitrailleur à la main, se chargeait de la couverture. Derrière eux, à une dizaine de mètres, les trois habitants de Thèmalin marchaient côte-à-côte, sans formation particulière, mais près à dégainer au moindre évènement suspect. Enfin, Koop marchait à une vingtaine de mètres derrière eux, formant l’arrière-garde, autant par souci de sécurité que pour éviter au maximum les accrochages entre lui et la guide, comme l’avait avoué Yoyo à SZM, Izanami et Emy avant leur départ.
La progression était particulièrement difficile ; le relief devenait de plus en plus accidenté et la chaleur de plus en plus étouffante au fur et à mesure que midi approchait. Emy ne sentait plus qu’une douleur lancinante dans ses jambes et que la sensation de la sueur collant à sa peau. Pour couronner le tout, l’ennui guettait comme un charognard. L’un des trois membres qui marchaient au centre essayait bien de lancer une conversation de temps à autre, mais ils avaient trop chaud pour les continuer bien longtemps.
Au bout d’une interminable marche, alors qu’11 heures approchait, ils entendirent derrière la voix de l’ « arrière-garde » qui lança, d’un air exaspéré :
« Oh non, pas encore !
-Qu’est-ce qu’il y a, Koop ? demanda Clint, qui avait déjà fait apparaître son arme dans sa main.
-C’est encore le sac à puce de l’autre incapable, là.
-Le sac à puce… » répéta Clint, sans comprendre à quoi il faisait allusion.
Iza haussa les épaules pour montrer qu’elle n’en avait aucune idée, et Emy dégaina à son tour, décidée à ne pas se laisser surprendre de nouveau.
« Quelque chose ne va pas ? demanda Yoshidu62 qui était revenu sur ses pas en entendant l’échange.
-Koop a parlé d’un sac à puce, rapporta Izanami.
-Ah, je vois… »
À ce moment, Koop apparut à l’angle du gros rocher qui le cachait aux autres jusque-là, un loup au pelage couleur gris et fauve trottant joyeusement à ses côtés.
Les deux jeunes femmes avaient déjà commencé à pointer leurs armes dans sa direction, mais Yoshidu62 les arrêta d’un geste.
« Tout va bien, elle est avec nous… Enfin, autant qu’une louve-bot peut l’être, évidemment, expliqua-t-il.
-Elle s’appelle Luna, précisa Melyn qui était aussi revenue sur ses pas.
-Si vous cherchiez l’originalité, c’était la porte à côté, glissa Koop en grattant la tête de l’animal.
-Viens là, Lun’ », poursuivit la guide, faisant de gros efforts pour se retenir de répliquer.
La louve obéit sans discuter et alla se planter juste à côté d’elle. Elle lui gratta la tête à son tour, avant de faire demi-tour et de se remettre en route, talonnée par son animal.
« Une louve ? s’étonna Emy quand elle fut assez loin pour ne plus pouvoir les entendre.
-C’est peut-être étonnant dans le monde réel, mais pas sur LMDM, indiqua le plus ancien modérateur. En théorie, tous les bots animaliers peuvent devenir des familiers.
-Des « familiers » ? Comme dans les MMORPG ?
-Oui, comme dans les Meuporgs, confirma Yoshidu62 avec un sourire.
-Les quoi ?
-Laisse tomber, c’est une blague qui date de bien avant les débuts du système ERM.
-Donc si je comprends bien, je pourrai avoir un ours géant pour animal de compagnie ?
-Tu te doutes bien que ce n’est pas si simple. Phil a fait en sorte qu’on ne puisse se lier d’amitié qu’avec un seul bot « sauvage » à la fois, et cela implique de le vaincre sans le tuer, ce qui est loin d’être une mince affaire.
-Et pourquoi on ne l’a jamais vue avant, « Luna » ? demanda Clint.
-Elle part souvent chasser pendant plusieurs jours, alors on ne l’a pas vu bien souvent non plus. Pourtant, elle a l’air de s’être attachée à Koop, d’une façon ou d’une autre. Et ça, ça rend Melyn un peu jalouse, il faut avouer…
-Quand on pense que sa maîtresse et lui ne peuvent pas se saquer… remarqua Izanami.
-Que veux-tu, on dirait qu’on ne peut pas comprendre complètement les animaux, même en ayant réussi à faire des copies informatiques de leurs esprits. »
Et sur ces mots, il repartit vers l’avant pour rattraper Melyn, les trois éléments du centre reprirent tranquillement leur route tandis que Koop les laisser prendre un peu d’avance.
Après une rapide pause-déjeuner aux alentours de midi, les aventuriers finirent par arriver « près de la zone qui nous intéresse », selon les mots de Yoshidu62. Emy ne s’expliquait pas bien comment ils pouvaient savoir exactement où chercher, et surtout pourquoi, s’ils le pouvaient, ils avaient errés dans ces montagnes pendant plusieurs jours, mais elle finit par se dire qu’ils avaient sans doute un moyen d’identifier une activité suspecte, en tant que modérateurs et que représentants du webmaster.
Et c’est vers 14 heures, après un autre épisode de marche éreintante, qu’ils se retrouvèrent réunis tous les six devant leur fameux objectif : une monumentale cavité, donnant sur les ténèbres, dont l’entrée était encadrée de deux piliers hauts d’une bonne vingtaine de mètres. L’endroit évoquait un peu à Emy les entrées des anciens monuments égyptiens.
« Le Donjon des Roches Rouges, annonça Yoshidu62.
-Et par donjon, tu veux dire un truc façon RPG, j’imagine ?
-C’est ça, des salles à explorer, des saloperies à éliminer et un gros boss à la fin qui cache un objet rare. Le paradis des aventuriers, quoi.
-Et pourquoi on est ici, concrètement ?
-Un endroit extrêmement vaste, à l’abri des regards, au beau milieu des montagnes de l’Est. Et franchement tranquille, vu que peu de gens viennent faire ce donjon-là. Si je voulais planquer plusieurs dizaines de bots dans le coin, c’est là que j’irais. »
Il fit apparaître son arme dans ses mains, et conseilla à tous ses compagnons de faire de même.
« On ne sait pas ce qu’on va trouver là-dedans, alors faites gaffe où vous mettez les pieds et couvrez-vous mutuellement. Je passe devant avec Melyn, vous trois, vous restez en retrait et vous couvrez nos flancs. Koop, tu t’occupes de nos arrières.
-Quoi ?!? Pourquoi encore moi ?
-Parce que ! C’est vraiment pas le moment de discuter, Koop ! »
L’intéressé grommela vaguement mais finit par obtempérer et pris sa place dans la formation.
Ils entrèrent dans l’immense édifice. Si la seule trace de la main humaine à l’extérieur était la présence des deux colonnes monumentales, celle-ci devint évidente dès qu’ils commencèrent à avancer dans le long couloir dont les murs étaient faits de gigantesques blocs de pierre, de plusieurs tonnes sans doute. Après une cinquantaine de mètres, le couloir s’ouvrit sur une gigantesque salle remplie d’innombrables rangées de piliers dont on ne pouvait distinguer ni le fond ni les côtés plongés dans l’obscurité. À une bonne centaine de mètres devant eux, un large trait de lumière filtrait à travers un trou dans le plafond, laissé par la chute d’un énorme bloc de pierre qui gisait piteusement sur le sol.
Emy comprenait mieux pourquoi l’endroit pouvait passer pour une excellente cachette ; on aurait sans problème pu y cacher des centaines, voire des milliers de bots, rien que dans la partie de la pièce qu’elle distinguait clairement. Cependant, il n’y avait pas âme qui vive pour l’instant.
Yoshidu62 fit apparaître dans sa main un orbe, assez proche des balles de soin, mais qui semblait dégager une lueur semblable à celle d’un brasier. Le modérateur la serra dans sa main et elle dégagea une nuée de flamme qui filèrent vers des réceptacles à torche qui trônaient sur toute la rangée de colonnes centrale et les allumèrent.
Le petit groupe avança encore de quelques mètres avant qu’un bruit de raclement se fasse entendre quelque part devant eux, à droite. Les armes des trois amateurs qui constituaient la ligne centrale se tournèrent instantanément vers l’origine du bruit, qui fut bientôt suivi par plusieurs autres venant d’un peu partout autour d’eux.
« Des Goleminis, prévint Yoshidu62.
-Goleminis… marmonna Melyn. Je m’y ferai jamais, à ces noms façon Mario que Scunindar a donné à tous le bestiaire... »
Les Goleminis finirent par apparaître à la lueur des torches ; il s’agissait d’êtres filiformes d’une cinquantaine de centimètres en moyenne, composés de cailloux de toutes formes et de toutes tailles liés ensembles par une force inconnue. Points communs entre eux tous : la présence de deux bras et de deux jambes, et d’un caillou beaucoup plus gros que les autres pour la tête, percé de deux trous dont émanait une lueur verte irréelle.
Les premiers coups de feu ne tardèrent pas à se faire entendre, et les assaillants, ridiculement faibles, volèrent en éclat aux premiers impacts. Emy eut cependant du mal à venir à bout de celui qu’elle avait pris pour cible, car, s’ils étaient terriblement fragiles, ils étaient aussi assez minces et avaient des mouvements désordonnés et imprévisibles. Pendant le combat, Luna montra d’impressionnantes capacités, mordant et griffant à tout va et éliminant plusieurs ennemis à elle seule. Il ne leur fallut que quelques minutes pour venir à bout de la vingtaine de monstres qui avaient surgi des ténèbres. Leur progression les avait menés vers l’énorme bloc effondré.
C’est à cet instant qu’ils entendirent un claquement répété, qu’ils identifièrent finalement comme étant des applaudissements à rythme lent. Ils se retournèrent d’un bloc vers la source du bruit. Celui-ci provenait d’une jeune femme dont la silhouette se détachait dans la lumière de l’entrée qu’ils avaient empruntée quelques minutes plus tôt. Elle était plutôt grande, la pâleur de sa peau encore accentuée par ses longs cheveux d’un blanc de neige qui tombaient jusqu’à ses épaules et par ses pupilles d’un rouge éclatant.
« N’allez pas vous faire des idées, lança l’inconnue d’une voix un peu rocailleuse qui évoquait une personne ayant fumé quelques temps. Je ne vous applaudis pas pour avoir réussi à vous débarrasser de toutes ces p’tites saloperies, mes lapins, mais parce que vous êtes tombés en plein dans notre joli piège. Et quelle foutue brochette : deux modérateurs sur trois et quatre jolis membres pour les tests. »
Un long silence s’ensuivit, brisé au bout de plusieurs secondes par Koop qui s’écria, hilare :
« Des yeux rouges, sérieux ? C’est vraiment un truc d’emos ça ! Encore pire que Melyn avec ses cicatrices ! »
L’intervenante se crispa, fit apparaître deux armes dans ses mains et commença à arroser copieusement les explorateurs de balles. Koop et Yoyo répliquèrent aussitôt, et ce dernier ordonna aux autres de se mettre à couvert derrière le gros bloc de pierre, ce qu’ils firent aussi vite que possible. Le temps de reprendre leur souffle et leurs esprits, et ils furent rejoins par les deux modérateurs.
« Alors, Koop, demanda Yoshidu62. Qu’est-ce que ça donne ?
-Deux Uzis, répondit-il. Pas beaucoup de dégâts et pas très précis, mais grosse cadence de tir. Trop, en fait. Elle devrait pas pouvoir nous arroser comme à cette cadence et sans recharger, normalement.
-Autre chose ?
-Y’a un truc qui cloche vraiment avec cette fille. J’ai bien dû lui coller deux ou trois balles d’AK et elle a pas bronché. Et pourtant c’est du 7,62, pas de la munition OTAN de tafiole !
-Je vois… Une idée ?
-J’ai toujours mon plan B. »
Il passa son arme en bandoulière sur épaule et fit apparaître une grenade dans sa main, puis il quitta le couvert du bloc, dégoupilla l’explosif et le lança juste devant l’agresseur qui avait commencé à avancer dans leur direction. Elle baissa les yeux vers le projectile, et un léger sourire se dessina sur son visage. Puis ce fut l’explosion, violente, qui fit même trembler le sol jusqu’à eux. Quand la fumée qu’elle avait provoquée se dissipa, l’inconnue aux cheveux blancs était toujours debout, le visage et le corps constellés de plaies dues aux éclats. Celles-ci parurent alors cicatriser quasi-instantanément, puis les cicatrices disparurent à leur tour, laissant la peau aussi lisse qu’au jour de sa naissance.
« Bien essayé mon canard, mais il va falloir un peu plus que ça !
-Une autre idée ? interrogea Yoyo.
-Ouais, je vais passer au plan C. Si ça marche pas, on revient au plan A.
-Donc on lui tire dessus à toutes berzingues ?
-C’est ça. Bon, je vais tenter le coup. Souhaitez-moi bonne chance. »
Étrangement, personne ne lui souhaita bonne chance, mais c’était peut-être parce que personne ne s’attendait à le voir sortir une baïonnette et la fixer au canon de sa kalachnikov. Puis il prit sa respiration et commença à charger droit sur la jeune femme, en poussant un retentissant « HOURRRAAAAAAA ! »… Avant de se retrouver littéralement empalé sur la rapière que son adversaire avait fait apparaître dans l’intervalle. Elle dégagea le corps inanimé et sanguinolent d’un coup de pieds et lança d’une voix assurée : « Et de un ! », avant de reprendre son chemin.
« C’est pas vrai, mais quel crétin, s’énerva Melyn en rechargeant.
-Vous l’avez entendu, on arrose », coupa Yoyo.
Ils obéirent, et cinq armes ouvrirent le feu simultanément vers l’inconnue, qui était désormais à une cinquantaine de mètres d’eux, sans effet apparent. Bien que couverte d’impacts sanglants, elle continuait à avancer à pas lents, imperturbable, souriant toujours, et ne prenant même pas la peine de répliquer. De toute évidence, elle aimait jouer avec ses proies.
Quand le petit groupe eut la conviction que ses balles n’avaient aucun effet, ils menèrent rapidement une réunion de crise improvisée derrière leur abri.
« Bon, je crois que je sais à quoi on a affaire, entama Yoyo. Il existe un certain élément de codage qu’on attribue habituellement à certain boss pour les rendre plus résistants. Ça confère au monstre beaucoup de PV, et tant qu’il a un certain nombre de PV, il peut se régénérer des blessures. Le problème, c’est que si elle a réussi à obtenir le nombre de PV maximum possible, on pourrait lui tirer dessus pendant des jours sans s’arrêter sans que ça ne lui fasse rien.
-Et du coup, c’est quoi le plan ? demanda Clint.
-Notre meilleure chance, ce sont les évènements particuliers qui peuvent faire perdre tous ses PV d’un coup à un membre ou à un bot.
-…Comme la chute d’une très grosse pierre, compléta Melyn en jetant un coup d’œil au plafond.
-C’est ça. La chute d’un objet très lourd sur la cible peut lui enlever tous ses PV d’un coup, à condition que son poids soit plusieurs fois égal à celui de la chose écrasée. Je pense que pour une humaine de quelques dizaines de kilos, ça devrait le faire. Visez les piliers et arrangez-vous pour qu’ils lui tombent dessus. On se sépare, chacun pour soi. Et gaffe aux monstres qui traînent dans le coin. »
Puis il se leva, PPsh en main, et commença à tirer vers l’inconnue, qui n’était plus qu’à une dizaine de mètres de leur planque, ce qui eut au moins pour effet de la surprendre et de la ralentir un peu.
Les autres commencèrent à courir dans toutes les directions, se dispersant dans les ténèbres du donjon.
Emy courut droit devant elle pendant plusieurs minutes, puis tourna à droite quand elle aperçut une ouverture dans le mur. Elle s’y engouffra et déboucha sur un large couloir qui s’enfonçait plus profondément dans la montagne. Elle plaqua son dos contre le mur, arme à la main, et lança un rapide regard pour tenter de distinguer son ennemie, mais la seule chose qu’elle perçut fut l’écho lointain des coups de feu. Elle reprit sa respiration pendant quelques dizaines de secondes, puis reparti de plus belle, son chemin heureusement éclairé par d’autres torches.
Malgré les instructions données par Yoshidu62, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devrait faire si elle tombait sur l’assaillante ; comment pourrait-elle faire tomber sur elle un bloc de plusieurs tonnes ? En détruisant un des piliers, sans doute, mais comment faire ?
Elle continuait à avancer, réfléchissant tellement à la suite qu’elle faillit ne pas voir les deux formes qui s’étaient dessinées dans l’ombre devant elle. Il s’agissait de deux répliques des Goleminis, mais grands de près d’1 mètre 50, avec la même lumière verte à la place du regard. L’un d’entre eux levait déjà un « bras » qui se terminait par une grosse pierre tenant lieu de massue. La jeune femme dû plonger en arrière, s’étalant à moitié par terre, et vida son chargeur sur les monstres, mais, une fois les impacts passés, cela n’eut pas plus d’effet que des piqures de moustiques. Emy lâcha un « merde » et repartit sur ses pas à toutes jambes, persuadée que ses coups de feu avaient dû indiquer sa position à la femme aux cheveux blancs, et qu’elle ne tarderait pas à venir s’occuper d’elle.
Elle sortit du couloir encore plus vite qu’elle n’y était entrée, et déboucha de nouveau dans la gigantesque salle. Derrière elle, les bruits discordants des pierres qui s’entrechoquaient lui évoquèrent les golems à sa poursuite. Une seconde à regarder derrière elle à la recherche de ses poursuivants, et elle percuta de plein fouet quelqu’un. Elle tomba sur les fesses, pointa son arme sur la forme et appuya à plusieurs reprises sur la gâchette, sans d’autre effet que provoquer un petit « clic ». La forme lui tendit une main hâlée, qu’Emy saisit sans réfléchir. La main la tira vers elle, et elle se retrouva debout face à Melyn, accompagnée de sa louve.
« La prochaine fois, si tu essayes de tirer sur quelqu’un assure-toi au moins que ton arme est chargée.
-Je devrais surtout m’assurer que la personne n’est pas une alliée, répondit Emy avec un rire nerveux.
-Oui, ce serait sympa aussi.
-Et à part ça… Tu as un plan pour la suite ?
-J’ai un début d’idée, oui. Mais il va falloir se débrouiller pour que miss « Mon Canard » nous prenne en chasse.
-Tu… Tu es sûre ?
-Tu préfères sans doute jouer à cache-cache ici indéfiniment ?
-Non.
-C’est bien ce que je pensais. »
La chasseuse pointa alors sa propre arme, un revolver de gros calibre, vers le plafond, et tira à plusieurs reprises, tout en hurlant, main en porte-voix : « HEY, LA TRUIE ! VIENS ICI ET FINISSONS-EN ! J’EN AI MARRE DE TE CHERCHER PARTOUT POUR TE BOTTER LE CUL! ». Comme si elle comprenait l’objectif poursuivi par sa maîtresse, Luna commença à hurler à la mort au même instant, multipliant le bruit ainsi produit, qui résonna et se répercuta sur les parois de la salle sans fin où ils étaient.
« T’inquiètes pas, ma colombe ! répondit peu après la voix distante de leur cible. J’arrive de ce pas pour m’occuper de tes plumes !
-Mes plumes… Ben voyons. Allez, amène-toi, lança-t-elle à Emy avant de partir d’un bon pas vers l’extrémité de la salle opposée à celle où ils étaient entrés. Elles marchèrent pendant plusieurs minutes, pendant lesquelles la guide lança des remarques peu flatteuses à l’intention de leur ennemie, qui paraissait plus proche à chaque réponse menaçante. Cela n’avait pas l’air d’effrayer Melyn, bien au contraire, tandis qu’Emy commençait à avoir franchement peur pour la suite des évènements.
De temps à autres, leur route croisa celle de Goleminis et de monstres semblables à ceux qui l’avait surprise dans le couloir, que Melyn appelait des « Golemoyen », un nom particulièrement ridicule, de l’avis de la nouvelle, mais ça n’était pas vraiment le moment de débattre de nomenclature. Melyn se débarrassa d’eux avec une aisance surprenante, aidée de sa louve, ce qui impressionna beaucoup la membre inexpérimentée.
Elles ne s’arrêtèrent que devant une monumentale porte de bois ouvragée, placée au milieu du mur du fond de cette phénoménale pièce qu’elles avaient parcouru jusque-là.
« Prête ? s’enquit Melyn.
-Prête pour quoi ?
-Pour voir le boss du donjon en action.
-Le boss du… Tu es bien consciente qu’on se fait courser par une folle furieuse, là ?
-Évidemment, et quoi de mieux qu’un monstre fou furieux de 15 mètres de haut pour calmer une folle furieuse d’1 mètre 80 ? »
Elle lança une dernière provocation (« Alors, foutue feignasse, je t’attends toujours ! »), et poussa alors la porte qui s’ouvrit lentement, chose étonnante vu le poids qu’elle devait faire. Celle-ci donnait sur une vaste pièce circulaire au sol parfaitement dallé d’un rayon de plusieurs dizaines de mètres, autour de laquelle courrait un balcon circulaire délimité par des arches aux motifs ouvragés. Au centre de la pièce se tenait un gigantesque monstre de pierre. Contrairement aux monstres de bases composés de pierres agglomérées, celui-ci semblait avoir été façonné dans la terre cuite. Son ventre était gros et rond, ses bras et jambes massifs, ses mains énormes, et sa tête été percée de deux vastes trous qui dégageaient la fameuse lueur verte.
« Golossus », annonça Melyn.
Le boss sembla les apercevoir, car son « regard » s’arrêta sur elles, et il commença à pivoter lourdement dans leur direction.
« Cours », suggéra Melyn.
Emy ne se fit pas prier. Heureusement pour elles, le maître des lieux était particulièrement lent, et ne parvint pas à suivre le mouvement. Les deux jeunes femmes s’engouffrèrent dans une cage d’escalier qui devait mener au balcon, et grimpèrent les marches quatre à quatre. Elles étaient maintenant hors de vue de Golossus.
« Et maintenant ? chuchota Emy.
-Maintenant, on attend l’autre gourde. »
L’ « autre gourde » ne tarda pas à apparaître, et parut plutôt surprise de se trouver nez-à-nez avec le monstrueux occupant des lieux. Mais son expression de surprise se transforma bien vite en un sourire carnassier.
« C’est tout ce que tu as trouvé pour m’arrêter, mon poussin ? Je vais le réduire en tas de tessons et je m’occupe de ton cas juste après. »
Et, joignant les gestes à la parole, elle dégaina ses deux Uzis et commença à faire pleuvoir un véritable déluge de balle, quasi surnaturel, sur l’immense monstre, qui commença à s’ébrécher et à perdre morceaux sur morceaux.
« C’était ça ton plan génial ? Compter sur cette grosse brique ?
-Non, compter sur le fait qu’elle tue la grosse brique. Et ça a l’air de très bien marcher pour l’instant.
-Je ne te suis pas.
-Ça va être le moment de mettre à profit l’arme que j’ai gagné la première fois que j’ai fini ce donjon. »
Comme on pouvait s’y attendre, Golossus ne put pas résister très longtemps à une telle débauche de puissance, et il commença à sérieusement vaciller vers l’arrière.
« Tu vois, je n’en ai fait qu’une bouchée. À ton tour, provoqua l’inconnue.
-Maintenant », marmonna alors Melyn pour elle-même.
Puis elle surgit sur le balcon comme un diable hors de sa boîte, tout en faisant apparaître un sorte de tube façon lance-roquette, mais qui semblait fait d’argile, et qui était parcourut de traits de lumière verte semblable à celle qui animait les golems. Melyn visa le dos du boss vaincu qui commençait à tomber droit sur elle, appuya sur la détente, et un puissant rayon vert parti de l’arme droit vers le dos du monstre déchu. L’impact fut tel que le corps, désormais inanimé, qui avait commencé à pencher vers l’arrière, parti vers l’avant, c’est-à-dire droit vers l’endroit où se tenait leur ennemie.
Cette dernière n’eut que le temps de murmurer un « Qu’est-ce que… », tandis que son expression conquérante se décomposait sur son visage, avant d’être écrasée par plusieurs dizaines de tonnes de pierre et d’argile.
« Désolée, « mon canard », lança Melyn, mais la rigolade est finie. »
"Oui mais quand tu lances un débat politique ici ça tourne au vinaigre en général.
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
Un petit chapitre de transition. Bonne lecture.
L’homme entra d’un pas lent dans le vaste bureau de Scunindar, lançant des regards intéressés autour de lui, s’arrêtant même parfois un instant pour contempler un des éléments du bric-à-brac qui encombrait la pièce. Le webmaster, lui, contemplait la ville, qu’il avait presque entièrement créée à lui seul, et qui s’étendait, tranquille sous le ciel étoilé, sous ses fenêtres. Il sirotait distraitement une de ses fameuses tisanes dont il raffolait.
L’homme, visiblement âgé d’une bonne soixantaine d’années, les cheveux et la moustache poivre-et-sel, cintré dans une blouse de scientifique, continuait d’avancer, et s’arrêta devant une vieille Game Boy posée sur un meuble.
« Quand j’avais une vingtaine d’année, et que je vivais dans ce qu’on appelait encore l’Union Soviétique, tous les jeunes de mon âge étaient fous de Tetris. Nous avions envoyé le premier animal dans l’espace, le premier homme aussi, fait des découvertes extraordinaires dans le domaine de l’énergie nucléaire et de l’armement, et nous nous extasions tous devant ces quelques lignes de code et ces circuits imprimés. J’en ai gardé une grande affection pour les jeux vidéo. »
Il marqua une pause, le regard vide, puis repris sa route vers le bureau de Scunindar, qui se leva finalement et lui tendit la main.
« C’est un honneur de rencontrer une sommité comme vous dans le domaine de la neurologie, professeur Stepanov. Vous avez fait beaucoup pour permettre la naissance du système ERM, et je vous en suis reconnaissant.
-Et moi de même, monsieur Thirion. C’est surtout grâce à de jeunes talents comme vous que l’Expérimentation de Réalités Multiples a pu devenir réalité. J’ai déjà eu le plaisir de rencontrer plusieurs de ceux qui ont travaillé bénévolement avec vous sur ce projet, et se furent à chaque fois de très bons moments. Les vieux débris comme moi imaginent toutes sortes de choses, mais ce sont les jeunes comme vous qui les rendent réelles.
-Une tisane ?
-Non, merci, elles ont tendance à me faire somnoler. »
Il s’abima un instant dans la contemplation de la ville, à travers la vaste vitre qui tenait lieu de mur du fond dans la pièce.
« Loué soit le grand Asimov, les progrès dans le système de traduction en temps réel sont extraordinaires. Mon anglais n’est pas très reluisant, et ne parlons même pas de mon français.
-J’imagine que si vous êtes venu jusqu’ici, ce n’est pas pour admirer la vue, exact ?
-C’est vrai. Je me devais de vous mettre au courant, vu le respect que j’ai pour vous.
-C’est à propos de nos mystérieux invités, c’est ça ?
-Oui, bien sûr. Et j’en fais partie.
-Vous travaillez pour la KAM, vous aussi ?
-Eh oui, ils avaient besoin d’un expert en neurologie et j’avais besoin d’un travail stimulant. Et j’en suis venu à travailler pour eux. Voilà ce que je vous propose, je vous en dis un peu plus à propos de ceux qui vous posent problème, et vous me donnez quelques informations en échange.
-Faisons ça.
-Très bien. La KAM a envoyé trois personnes au départ, trois jeunes gens d’à peu près votre âge pour passer inaperçu. La compagnie s’est débrouillée pour qu’on les « inscrive » discrètement, de façon à ne laisser aucune trace dans les fichiers du site, ou au moins aussi peu que possible. C’est pour cette raison que vous n’en avez pas été informé par les moyens habituels.
-Et pourquoi ont-ils décidé soudainement de nous les envoyer ?
-Ils ont commencé à être très inquiets après ce fameux « braquage » sur ce réseau social. Vous en avez sans doute entendu parler, un jeune hacker a réussi à prendre le contrôle d’un certain nombre de bots et de quelques membres, il voulait s’en servir pour une sorte d’arnaque, afin d’extorquer de l’argent à la fois aux membres qu’il contrôlait, ainsi qu’à d’autres qui auraient essayé d’acheter des choses à des bots qui tenaient des boutiques sur le site et qu’ils contrôlait également. »
Il s’était levé et contemplait maintenant les lumières de la capitale de LMDM juste devant la vitre.
« Les hackers sont des gens fascinants, toujours à la limite entre illégalité et créativité. Vadim Guerassimov, un des créateurs de Tetris, était un hacker notoire, vous savez ? Et il n’avait que 16 ans. Celui qui nous intéresse en a 23.
-Et quel est le rapport avec mon site ?
-La KAM a voulu mener des tests plus poussés sur les risques de piratage sur le système ERM, notamment sur celui des bots, ce qui explique d’ailleurs la disparition de bon nombre des vôtres. Votre site a été choisi parce qu’il était peu fréquenté, peuplé d’une concentration inhabituellement élevée de bots, et un peu par hasard, il faut bien le dire. »
Il s’arrêta de nouveau un moment, s’abimant dans ses pensées.
« Vous n’êtes pas ici pour voler quelques bots, vous, je me trompe ?
-En effet… Vous savez, dans ma famille, l’esprit militaire a toujours été très fort… Mon grand frère a combattu en Afghanistan dans les années 80, mon grand-père a été blessé en Prusse Orientale en 1945, un de mes arrière-grand-oncles a été tué à Smolensk et un autre à Stalingrad. Une de mes arrière-arrière-grand-tantes a même survécu au siège de Leningrad, enfin, elle est décédée peu après la guerre à cause des séquelles de sa sous-alimentation, mais c’est autre chose… Enfin, je radote, je radote, tout ça pour dire que moi, j’ai eu depuis toujours la fibre scientifique, vous voyez ? Nous étions tous très fiers de nos armes nucléaires qui nous protégeaient de celles des Américains, mais moi, je me demandai comment ça fonctionnait, et j’ai fini sur les bancs de l’université de Moscou. Sur votre site, nous avons trouvé quelque chose qui a eu le mérite d’attirer toute ma curiosité, et celle de personnes importantes de la KAM. C’est pour ça que je suis ici.
-Je pense voir de quoi vous voulez parler…
-N’est-ce pas ? Vous n’avez rien constaté d’anormal dans les protocoles, n’est-ce pas ?
-Non. Tout aurez dû se passer comme d’habitude : son activité aurait dû diminuer progressivement jusqu’à s’arrêter complétement. Elle aurait dû finir complètement immobile, littéralement « éteinte ».
-Oui, c’est ce qui aurait dû passer… Et maintenant, elle parcourt votre site de son propre chef. C’est pour cette raison qu’on m’a envoyé ici. Pour comprendre comment l’avatar d’une malheureuse partie trop tôt dans des circonstances tragiques peut continuer à prendre de telles décisions plusieurs semaines après sa dernière connexion. Vous n’avez pas constaté de connexion depuis le décès, n’est-ce pas ?
-Pas une seule.
-Oui, bien sûr… Vous n’avez pas non plus essayé de lui implanter les protocoles d’un bot, évidemment ?
-Non plus.
-Tout à fait fascinant. Je ne peux qu’être impatient de voir la suite. Jusqu’où ira-t-elle ? Et si nous nous trouvions depuis le premier cas d’indépendance totale d’un esprit copié ? Quel pas de géant ce serait ! »
Il se tut à nouveau, et Scunindar perçut dans son regard l’éclat de la curiosité, et de la joie d’un scientifique passionné confronté à un nouveau défi.
« Où ai-je la tête ? Je vous ai promis des informations en échanges des vôtres, et voilà que je m’emporte à nouveau… Que voulez-vous savoir ?
-J’aimerai comprendre à qui nous avons affaire…
-Trois jeunes gens de votre âge, comme je vous l’ai dit. Mais des jeunes très doués dans différents domaines. Un jeune homme spécialisé dans le domaine des neurosciences, qui se charge de manipuler les bots. Plein d’entrain, mais tellement sérieux pour son âge… Une autre jeune fille, une véritable pointure en informatique, terriblement cynique, ce qui peut la rendre un peu difficile à vivre, il faut bien le dire. Et enfin, la jeune demoiselle dont vos modérateurs se sont déjà occupés, si j’ai bien compris, chargée d’être la « force de frappe » de l’équipe. Toujours à la rechercher d’un adversaire à affronter. Une boxeuse très talentueuse dans la réalité, me semble-t-il, mais un peu trop impulsive, sans doute. La compagnie risque de leur envoyer des renforts, vu les enjeux développés récemment.
-Et pourriez-vous me dire où ils se trouvent actuellement, et ce qu’ils font ?
-Je n’irai pas trop loin, répondit le professeur avec un air jovial. Après tout, nous sommes collègues ! Je peux cependant vous avouer que le jeune homme est actuellement dans la zone de détente, où il envisage de se pencher maintenant sur le cas du contrôle des membres. Quant à sa collègue, il n’est pas impossible qu’elle se prépare à délivrer votre prisonnière avant qu’elle n’ait pu vous révéler un peu trop d’informations compromettantes. Mais j’ignore d’où.
-Merci beaucoup, professeur, ce sera déjà d’une grande aide.
-Ne les brusquez pas trop, par pitié. Ils sont encore persuadés que leur mission est l’objectif principal de la compagnie sur votre site. Les désillusions peuvent être destructrices, à cet âge-là.
-Nous ferons bien attention, c’est promis. Toujours pas de tisane ?
-Non merci, j’ai encore du travail et mon avatar a besoin de toutes ses capacités. Au plaisir de vous revoir, j’espère que notre prochaine rencontre se fera dans des conditions un peu moins formelles.
-Bonne soirée, professeur. »
L’homme entra d’un pas lent dans le vaste bureau de Scunindar, lançant des regards intéressés autour de lui, s’arrêtant même parfois un instant pour contempler un des éléments du bric-à-brac qui encombrait la pièce. Le webmaster, lui, contemplait la ville, qu’il avait presque entièrement créée à lui seul, et qui s’étendait, tranquille sous le ciel étoilé, sous ses fenêtres. Il sirotait distraitement une de ses fameuses tisanes dont il raffolait.
L’homme, visiblement âgé d’une bonne soixantaine d’années, les cheveux et la moustache poivre-et-sel, cintré dans une blouse de scientifique, continuait d’avancer, et s’arrêta devant une vieille Game Boy posée sur un meuble.
« Quand j’avais une vingtaine d’année, et que je vivais dans ce qu’on appelait encore l’Union Soviétique, tous les jeunes de mon âge étaient fous de Tetris. Nous avions envoyé le premier animal dans l’espace, le premier homme aussi, fait des découvertes extraordinaires dans le domaine de l’énergie nucléaire et de l’armement, et nous nous extasions tous devant ces quelques lignes de code et ces circuits imprimés. J’en ai gardé une grande affection pour les jeux vidéo. »
Il marqua une pause, le regard vide, puis repris sa route vers le bureau de Scunindar, qui se leva finalement et lui tendit la main.
« C’est un honneur de rencontrer une sommité comme vous dans le domaine de la neurologie, professeur Stepanov. Vous avez fait beaucoup pour permettre la naissance du système ERM, et je vous en suis reconnaissant.
-Et moi de même, monsieur Thirion. C’est surtout grâce à de jeunes talents comme vous que l’Expérimentation de Réalités Multiples a pu devenir réalité. J’ai déjà eu le plaisir de rencontrer plusieurs de ceux qui ont travaillé bénévolement avec vous sur ce projet, et se furent à chaque fois de très bons moments. Les vieux débris comme moi imaginent toutes sortes de choses, mais ce sont les jeunes comme vous qui les rendent réelles.
-Une tisane ?
-Non, merci, elles ont tendance à me faire somnoler. »
Il s’abima un instant dans la contemplation de la ville, à travers la vaste vitre qui tenait lieu de mur du fond dans la pièce.
« Loué soit le grand Asimov, les progrès dans le système de traduction en temps réel sont extraordinaires. Mon anglais n’est pas très reluisant, et ne parlons même pas de mon français.
-J’imagine que si vous êtes venu jusqu’ici, ce n’est pas pour admirer la vue, exact ?
-C’est vrai. Je me devais de vous mettre au courant, vu le respect que j’ai pour vous.
-C’est à propos de nos mystérieux invités, c’est ça ?
-Oui, bien sûr. Et j’en fais partie.
-Vous travaillez pour la KAM, vous aussi ?
-Eh oui, ils avaient besoin d’un expert en neurologie et j’avais besoin d’un travail stimulant. Et j’en suis venu à travailler pour eux. Voilà ce que je vous propose, je vous en dis un peu plus à propos de ceux qui vous posent problème, et vous me donnez quelques informations en échange.
-Faisons ça.
-Très bien. La KAM a envoyé trois personnes au départ, trois jeunes gens d’à peu près votre âge pour passer inaperçu. La compagnie s’est débrouillée pour qu’on les « inscrive » discrètement, de façon à ne laisser aucune trace dans les fichiers du site, ou au moins aussi peu que possible. C’est pour cette raison que vous n’en avez pas été informé par les moyens habituels.
-Et pourquoi ont-ils décidé soudainement de nous les envoyer ?
-Ils ont commencé à être très inquiets après ce fameux « braquage » sur ce réseau social. Vous en avez sans doute entendu parler, un jeune hacker a réussi à prendre le contrôle d’un certain nombre de bots et de quelques membres, il voulait s’en servir pour une sorte d’arnaque, afin d’extorquer de l’argent à la fois aux membres qu’il contrôlait, ainsi qu’à d’autres qui auraient essayé d’acheter des choses à des bots qui tenaient des boutiques sur le site et qu’ils contrôlait également. »
Il s’était levé et contemplait maintenant les lumières de la capitale de LMDM juste devant la vitre.
« Les hackers sont des gens fascinants, toujours à la limite entre illégalité et créativité. Vadim Guerassimov, un des créateurs de Tetris, était un hacker notoire, vous savez ? Et il n’avait que 16 ans. Celui qui nous intéresse en a 23.
-Et quel est le rapport avec mon site ?
-La KAM a voulu mener des tests plus poussés sur les risques de piratage sur le système ERM, notamment sur celui des bots, ce qui explique d’ailleurs la disparition de bon nombre des vôtres. Votre site a été choisi parce qu’il était peu fréquenté, peuplé d’une concentration inhabituellement élevée de bots, et un peu par hasard, il faut bien le dire. »
Il s’arrêta de nouveau un moment, s’abimant dans ses pensées.
« Vous n’êtes pas ici pour voler quelques bots, vous, je me trompe ?
-En effet… Vous savez, dans ma famille, l’esprit militaire a toujours été très fort… Mon grand frère a combattu en Afghanistan dans les années 80, mon grand-père a été blessé en Prusse Orientale en 1945, un de mes arrière-grand-oncles a été tué à Smolensk et un autre à Stalingrad. Une de mes arrière-arrière-grand-tantes a même survécu au siège de Leningrad, enfin, elle est décédée peu après la guerre à cause des séquelles de sa sous-alimentation, mais c’est autre chose… Enfin, je radote, je radote, tout ça pour dire que moi, j’ai eu depuis toujours la fibre scientifique, vous voyez ? Nous étions tous très fiers de nos armes nucléaires qui nous protégeaient de celles des Américains, mais moi, je me demandai comment ça fonctionnait, et j’ai fini sur les bancs de l’université de Moscou. Sur votre site, nous avons trouvé quelque chose qui a eu le mérite d’attirer toute ma curiosité, et celle de personnes importantes de la KAM. C’est pour ça que je suis ici.
-Je pense voir de quoi vous voulez parler…
-N’est-ce pas ? Vous n’avez rien constaté d’anormal dans les protocoles, n’est-ce pas ?
-Non. Tout aurez dû se passer comme d’habitude : son activité aurait dû diminuer progressivement jusqu’à s’arrêter complétement. Elle aurait dû finir complètement immobile, littéralement « éteinte ».
-Oui, c’est ce qui aurait dû passer… Et maintenant, elle parcourt votre site de son propre chef. C’est pour cette raison qu’on m’a envoyé ici. Pour comprendre comment l’avatar d’une malheureuse partie trop tôt dans des circonstances tragiques peut continuer à prendre de telles décisions plusieurs semaines après sa dernière connexion. Vous n’avez pas constaté de connexion depuis le décès, n’est-ce pas ?
-Pas une seule.
-Oui, bien sûr… Vous n’avez pas non plus essayé de lui implanter les protocoles d’un bot, évidemment ?
-Non plus.
-Tout à fait fascinant. Je ne peux qu’être impatient de voir la suite. Jusqu’où ira-t-elle ? Et si nous nous trouvions depuis le premier cas d’indépendance totale d’un esprit copié ? Quel pas de géant ce serait ! »
Il se tut à nouveau, et Scunindar perçut dans son regard l’éclat de la curiosité, et de la joie d’un scientifique passionné confronté à un nouveau défi.
« Où ai-je la tête ? Je vous ai promis des informations en échanges des vôtres, et voilà que je m’emporte à nouveau… Que voulez-vous savoir ?
-J’aimerai comprendre à qui nous avons affaire…
-Trois jeunes gens de votre âge, comme je vous l’ai dit. Mais des jeunes très doués dans différents domaines. Un jeune homme spécialisé dans le domaine des neurosciences, qui se charge de manipuler les bots. Plein d’entrain, mais tellement sérieux pour son âge… Une autre jeune fille, une véritable pointure en informatique, terriblement cynique, ce qui peut la rendre un peu difficile à vivre, il faut bien le dire. Et enfin, la jeune demoiselle dont vos modérateurs se sont déjà occupés, si j’ai bien compris, chargée d’être la « force de frappe » de l’équipe. Toujours à la rechercher d’un adversaire à affronter. Une boxeuse très talentueuse dans la réalité, me semble-t-il, mais un peu trop impulsive, sans doute. La compagnie risque de leur envoyer des renforts, vu les enjeux développés récemment.
-Et pourriez-vous me dire où ils se trouvent actuellement, et ce qu’ils font ?
-Je n’irai pas trop loin, répondit le professeur avec un air jovial. Après tout, nous sommes collègues ! Je peux cependant vous avouer que le jeune homme est actuellement dans la zone de détente, où il envisage de se pencher maintenant sur le cas du contrôle des membres. Quant à sa collègue, il n’est pas impossible qu’elle se prépare à délivrer votre prisonnière avant qu’elle n’ait pu vous révéler un peu trop d’informations compromettantes. Mais j’ignore d’où.
-Merci beaucoup, professeur, ce sera déjà d’une grande aide.
-Ne les brusquez pas trop, par pitié. Ils sont encore persuadés que leur mission est l’objectif principal de la compagnie sur votre site. Les désillusions peuvent être destructrices, à cet âge-là.
-Nous ferons bien attention, c’est promis. Toujours pas de tisane ?
-Non merci, j’ai encore du travail et mon avatar a besoin de toutes ses capacités. Au plaisir de vous revoir, j’espère que notre prochaine rencontre se fera dans des conditions un peu moins formelles.
-Bonne soirée, professeur. »
"Oui mais quand tu lances un débat politique ici ça tourne au vinaigre en général.
Dénommé Koopa, vous êtes le vinaigre."
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
Bonjour,
Je viens consulter ce forum, car j'aurai une question à vous poser. J'habite à Paris dans le 10eme et il m'est arrivée un fuite au niveau de mon WC
J'ai consulté sur internet plusieurs sites internet, pas mal de plombiers indépendants proposent une prestation, mais sans vraiment connaître leurs services ou leurs prix. Je suis tombée sur une plateforme lien supprimé qui paraît être honnête.
Avez-vous déjà consulté ce site ? Si oui pouvez-vous me faire un retour ! :)
En vous remerciant !
daniel
Je viens consulter ce forum, car j'aurai une question à vous poser. J'habite à Paris dans le 10eme et il m'est arrivée un fuite au niveau de mon WC
J'ai consulté sur internet plusieurs sites internet, pas mal de plombiers indépendants proposent une prestation, mais sans vraiment connaître leurs services ou leurs prix. Je suis tombée sur une plateforme lien supprimé qui paraît être honnête.
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
4 ans plus tard je remonte ce topic sans scrupules car je veux la suite de cette fic.
La modération c'est plus c'que c'était ici.
- koopa troopa
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
Ben honnêtement je garde toujours un souvenir très tendre de cette fic et j'ai même commencé une ou deux fois à écrire une suite, donc c'est tout sauf impossible.
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Re: ERM (Expérimentation de Réalités Multiples)
Mais j'y compte bien, c'était du premier degré ! C'est pas possible d'arrêter sur autant de questions
La modération c'est plus c'que c'était ici.