« Koop, tu m'aides ? »
Nous sommes le 1er avril 2015, je suis dans la salle de repos des modérateurs de Le Monde de Mario, site paisible et tranquille s'il en est. Un petit coin on ne peut plus calme d'Internet, parcouru par quelques habitués qui ne se soucient plus de Mario depuis longtemps et de jeunes qui se jettent éperdument dans le dangereux monde des forums.
Je me dirige vers la réserve d'où vient la demande d'aide de ma collègue 1-up, enfant Ouaneup comme je la surnomme (z'avouerez que c'est quand même plus pratique à l'écrit). J'ouvre à peine la porte qu'un seau me tombe sur la tronche. Le contact glacé de l'eau n'est pas problématique, c'est surtout le bord du seau qui me percute l'arcade qui s'avère gênant. Je me retrouve avec la main plaquée sur l’œil, marchant en rond dans la pièce en répétant en boucle « merdmerdmerd » (d'après certains rites chamaniques amérindiens, ça permet de faire baisser sensiblement la douleur rapidement).
« Désolée Koop ! s'exclame Ouaneup, qui n'a pas l'air désolée du tout. Je faisais le test pour aujourd'hui, ça risque d'être une blague plutôt dangereuse à faire, on va éviter. »
Elle prend ça sacrément à cœur la Ouaneup. Jusqu'à présent, l'équipe de LMDM se composait pour l'essentiel de Scuni, qui semble toujours planer à 15km au-dessus de toutes forme de bon sens tant qu'il a une pipe et une tasse de sa fameuse tisane directement importée à portée de main, de Yoyo, que beaucoup s'accordent à qualifier de modérateur idéal, mais pas très versé dans le collage de poisson en papier dans le dos du voisin, de Mana, en congés pour une raison ou une autre 6 jours sur 7, et de moi, qui n'est enthousiaste pour rien qui demande un tant soit peu d'initiative. Une équipe récemment complétée avec l'arrivée de Kevin, lui aussi plutôt discret, et justement Ouaneup, qui déborde de bonne volonté et d'envie de bien faire, ce qui la pousse à prendre le premier avril très au sérieux cette année.
Bon, on a pas toujours foiré notre coup pour ça. L'année dernière, les admins des 4 principaux sites traitant de Mario avaient fait fort en prétendant que lesdits sites allaient fusionner. Problème : le canular avait provoqué une vague d'enthousiasme assez malvenue pour un projet quasi irréalisable. Cette année, la mission était donc de se contenter de blagues plus classiques, sans ambiguïté. Donc, faire tomber des seau sur mon visage.
Au moins, elle m'aide à me relever, une main sur l'épaule, l'autre dans mon dos, un grand sourire aux lèvres.
Une main dans le dos.
Je me lance dans la recherche du bout de papier en forme de poisson qui doit y être collé. Mais ce que mes doigts trouvent, c'est un poisson du genre bien réel, trempé, gluant et surtout couvert d'épines. Pour le coup, je peux pas retenir un vrai cri de douleur.
« C'est une rascasse, elle est pas mignonne ? me demande Ouaneup en remettant l'animal dans un aquarium qui traîne dans un coin.
-Mais c'est pas venimeux c'est trucs là ?
-Ah, maintenant que tu le dis... »
La zone de piqûre commence à rougir et à gonfler. Je suis pas expert en la matière, alors j'espère qu'on devra pas m'amputer ou un truc du genre.
Alerté par le cri, Yoyo arrive, serein comme à son habitude.
« Oula Koop, qu'est-ce que t'as pu faire avec ta main droite pour qu'elle soit dans cet état ? Oh, attend...
-Par pitié, si on pouvait éviter de tomber dans les allusions vaseuses ça m'arrangerait.
-Si tu le dis, je vais aller chercher la trousse à pharmacie, on doit bien avoir du mercurochrome pas périmé ou un truc comme ça.
-Dépêche Yoyo ! s'exclame Ouaneup. Dès que tu reviens, on part acheter des trucs pour que ce 1er avril soit inoubliable ! »
Et donc, après avoir versé sur ma main un certain nombre de produits au hasard et appliqué rapidement sur la plaie un pansement digne d'un scout lourdement handicapé mentalement, nous sommes en route pour la vaste allée marchande où nous pourrons trouver notre bonheur, enfin, d'après Ouaneup. Moi je serai même pas capable d'aller acheter une baguette tout seul.
Il est encore tôt, et la rue est déserte comparée à la foule habituelle qui parcourt les magasins à la recherche du saint Graal : le T-shirt à motif trop stylé pas trop cher, le portable nouvelle génération avec une application pour à peu près tout, y compris une pour te rappeler quand tu dois manger et aller aux toilettes. Et dans toutes ces boutiques inutiles, pas une seule qui propose la moindre arme à feu. La société de consommation a perdu tout sens des réalités.
Ouaneup se dirige d'un bon pas vers une boutique de Farces et Attrapes qui a basé toute sa pub sur le 1er avril, période où elle doit bien réaliser la moitié de ses ventes. Apparemment, elle a déjà fait des repérages avant, car elle attrape des articles les uns après les autres avec détermination. Le tas de fournitures ne cesse de grossir et Yoyo et moi nous retrouvons bientôt chargés de sacs en papier remplis d'objets idiots qu'un esprit humain a été suffisamment débile pour inventer.
Parmi ces gadgets, une banane factice enduite d'un produit qui la rend extrêmement glissante, que Ouaneup lance, une fois dans la rue, vers les pieds de Yoyo qui marche à côté de moi. Sauf que ladite banane glisse sur le sol et, timing parfait, je pose mon pieds dessus pile quand elle arrive à mon niveau. Pas besoin d'un doctorat pour deviner que je m'étale par terre la tête la première. Mon menton percute le sol et commence presque immédiatement à saigner.
« Désolée Koop ! Cette fois-ci c'était vraiment pas fait exprès ! »
Exprès ou pas, je commence à être dans un sale état, avec mon bleu sur l'arcade sourcilière, ma main droite qui commence à peine à dégonfler et mon menton sanguinolent. Je commence à me demander si je vais survivre à ce premier avril là.
Au moins, je rentre au bâtiment qu'occupe l'administration et la modération sans subir d'autres dommages. En me voyant, Phil a l'air de vaguement se demander ce que je fais dans cet état, mais il n'est pas du genre à s'attarder sur les détails. Il se contente de nous lancer la blague qu'il nous fait tous les ans, presque comme un rituel :
« Hey ! Vous allez être augmenté cette année ! Poisson d'avril ! »
Et il part tranquillement. Je ne sais pas si c'est ce qu'on peut appeler un environnement sain de travail. Une fois que notre admin s'est suffisamment éloigné, Ouaneup nous glisse sous le ton de la conspiration :
« J'ai une super idée de blague pour Scuni cette année ! Venez, on va dans son bureau. »
Il ne nous faut pas longtemps pour rejoindre le saint des saints. Le bureau de Scunindar est un endroit propre et bien rangé, avec des meubles digne du bureau d'un PDG de multinationale, mais remplis d'objets qui n'ont rien à y faire, surtout des gadgets colorés qui ressemblent à des jouets de Kinder Surprise, en plus élaborés tout de même, et des maquettes représentant les plus grandes montagnes russes du monde.
Ouaneup se dirige directement vers l'imposant siège de bureau qu'occupe le patron.
« On va coller une fusée de feu d'artifice là-dessous, déclare-telle avec autorité. On la déclenchera quand il s’assiéra et la chaise tournera sur elle-même à fond la caisse ! Koop, tu t'occupes de l'installation !
-Quoi ? Pourquoi moi ?
-Tu passes ton temps à dire que tu es un expert en explosifs et tout un tas de trucs dangereux, alors tu es le plus apte à la réalisation de cette mission. »
Elle a raison, on ne peut pas passer son temps à se vanter sans en payer les conséquences. Je prend la fusée qu'elle me tend, me couche sous la chaise, et je me lance dans un collage au chatterton tant bien que mal (une tâche qui n'est pas facilitée par ma blessure à la main droite, du coup je me retrouve à faire le boulot de la main gauche).
Sauf qu'évidemment, ça ne peux pas se passer aussi facilement. Juste à côté, Yoyo a enfin trouvé un objet de forme étonnante qu'il tourne et retourne dans tous les sens. Il enclenche accidentellement de le mécanisme de ce qui s'avère être un briquet. Surpris par la flamme, il le lâche, il tombe au sol, la taille de la flamme augmente, la mèche s'embrase. J'ai à peine le temps de retirer la main que le pétard s'enclenche, me brûlant une partie de la main gauche. Pour couronner le tout, la chaise se met à tourner et je me prend un coup d'accoudoir dans le nez. Je me retrouve étalé par terre, un bleu sur l'arcade, une griffure sur le menton, avec le nez qui saigne, la main gauche brûlée et la droite enflée .
On échoue finalement à mon point de départ, la salle de repos. Difficile de prédire qu'elle sera la réaction de Scuni en découvrant sa moquette brûlée et son siège à moitié détruit. Ouaneup se dirige vers moi et me tend un paquet cadeau.
« Pour m'excuser, la plupart de tes problèmes aujourd'hui sont ma faute ».
Je le déballe et découvre un MP443, arme de poing russe de toute beauté. Je la remercie, impossible d'en vouloir à quelqu'un qui m'offre ça.
« Du coup maintenant que tu as celui, tu n'as plus besoin de ton vieil AK-47, alors je l'ai jeté à la poubelle... Héhé, poisson d'a... Koop ? Koop ?!? »
J'ai passé le 1er avril 2015 dans un lit à l'infirmerie, apparemment, j'ai fait un espèce d'attaque, à cause d'une trop forte émotion. Tu parles.